Accueil. Cycle de Shaedra, Tome 6: Comme le vent

1 Intramuros (Partie 1 : Le Sanctuaire)

Des voix murmuraient dans la rue silencieuse et sombre. Le vent, après avoir soufflé toute la nuit, s’était apaisé, mais la poussière rouge du désert restait en suspension et tournoyait encore, doucement poussée par la brise.

La Bougie, à travers le brouillard de sable, empourprait la nuit et l’on percevait derrière ce rideau écarlate l’ombre éminente du Mont escarpé du Sanctuaire se dressant au-dessus d’Aefna.

— J’ai toujours entendu dire que le Sanctuaire était gardé par les Arsays de la Mort.

Assis sur des tonneaux, sur une petite place déserte, Aryès et moi, nous attendions avec une certaine impatience l’apparition d’une silhouette.

— C’est ce que dit le livre que m’a offert Wiguy —approuvai-je—. Les légendes disent qu’ils sont immortels.

Aryès souffla.

— Les légendes racontent beaucoup de mensonges —répliqua-t-il.

Je souris, songeuse.

— Frundis a connu un Arsay, une fois.

— Vraiment ? —fit Aryès, impressionné—. Et que t’a-t-il raconté ?

— Il a dit que c’était un ignorant. Je suppose qu’il devait le juger sur ses connaissances musicales —ajoutai-je, avec un demi-sourire.

Aryès sourit. Quelques mèches de cheveux très blanches dépassaient des bords de sa capuche. Il perçut mon regard et un silence chargé de pensées tomba entre nous. Je n’arrivais pas encore à croire qu’Aryès ait pu s’en aller pendant tant de mois, volontairement. “Lorsque je me suis réveillé, sous la tente, j’ai vu que tu étais partie. Je t’ai suivie, mais je ne t’ai pas trouvée”, m’avait-il raconté, tandis que j’essayais de me remettre de l’émotion, allongée dans ma chambre. En voyant qu’il ne me trouvait pas, Aryès s’était souvenu des paroles que lui avait adressées le maître Helith et il avait décidé de tenter la chance et de trouver un celmiste orique qui vivait, solitaire, perdu dans les Hordes. Et, pour le moment, je n’étais pas parvenue à lui soutirer grand-chose d’autre, parce que la journée avait été très remplie, entre les combats har-karistes, les épreuves d’illusionnisme et celles des autres kals. De plus, je ne sais pour quelle mystérieuse raison, Aryès ne voulait pas que les autres kals sachent qu’il était à Aefna. Aussi, je n’avais pas pu parler avec lui de toute la journée, et les autres n’étaient au courant de rien.

L’ennui, c’est que, même maintenant, nous n’avions pas beaucoup de temps pour parler. Lénissu arriverait d’un moment à l’autre. Et ensuite, je devrais aller voir les Communautaires…

Cette simple pensée me donna la chair de poule, malgré l’air chaud qui nous entourait. Aryès secoua la tête, comme pour chasser quelque rêverie.

— C’est la première fois que je vois un brouillard de sable —commenta-t-il.

Je fis une moue. Il était clair qu’à cet instant le brouillard de sable était la moindre de ses préoccupations.

— Comment es-tu venu à Aefna ? —demandai-je.

Aryès se mordit la lèvre et esquissa un sourire.

— En carriole. Avec des musiciens.

— Et où loges-tu ?

Le kadaelfe ouvrit la bouche et la referma, en fronçant les sourcils. Il finit par admettre :

— Je n’y ai pas encore pensé. Les musiciens se sont arrêtés, hier, dans un village de la plaine et j’ai continué à pied tout seul vers Aefna.

— De nuit ? —soufflai-je—. Mais on n’y voit même pas un dragon.

— Bah ! —dit Aryès, avec un mouvement de la main—. Je ne voulais pas dormir dans cette taverne et je n’étais pas fatigué.

Je l’observai attentivement.

— Je peux te poser une question ?

Aryès haussa les sourcils tout en se penchant en arrière et il me rappela alors un peu Lénissu.

— Vas-y.

— Eh bien… pourquoi as-tu les cheveux blancs ?

Aryès soupira.

— Je t’ai dit que c’était une longue histoire. Et Lénissu va arriver d’un moment à l’autre. Je ne voudrais pas raconter l’histoire à moitié.

Je croisai les bras, sceptique, puis je jetai un coup d’œil aux alentours et je fronçai les sourcils.

— Lénissu est en retard.

— Tu es sûre que tu ne te trompes pas d’endroit ? —me demanda-t-il, après un silence.

J’avais commencé à me faire les griffes sur le tonneau et, en remarquant le regard d’Aryès, je m’arrêtai aussitôt.

— Qu’est-ce qui peut bien le retarder, à ton avis ?

Je fis une moue d’incompréhension. Mais, dans ma tête, je m’imaginais déjà dix mille possibilités. Lénissu avait-il eu quelque problème ? Ou plutôt, un des mille problèmes qu’il collectionnait avait-il mal tourné ? Avait-il dû quitter Aefna en toute hâte ? … Ou bien avait-il oublié notre rendez-vous ? Avec tant d’histoires à régler, il était clair qu’il ne pouvait pas se souvenir de tout…

— Allez, arrête de te préoccuper —me dit Aryès, en soupirant—. Il finira bien par venir. Au fait, comment s’est terminée cette histoire d’échange de prisonniers ? Qu’est-il arrivé exactement à Lénissu ? En tout cas, une chose est sûre, ses amis l’ont sauvé, puisqu’à présent il est à Aefna.

Je me frottai le menton et je répondis :

— C’est une très longue histoire.

Aryès me regarda et laissa échapper un rire silencieux.

— Bon, d’accord —concéda-t-il—. Je vais te faire un bref résumé de ce qui s’est passé dans les Hordes. J’ai marché pendant plusieurs semaines, sans rien à manger avec la certitude que j’allais mourir d’une façon absurde. Et c’est une chance que je me sois alors souvenu de ce que m’avait dit Marévor Helith : “tu trouveras l’endroit au pied de la Montagne des Trois Pics”. J’ai aperçu la montagne et j’ai suivi les… hum… les conseils que m’avait donnés le maître Helith.

— Quels conseils ? —intervins-je, surprise par le ton de sa voix.

— Eh bien, selon lui, je devais rester étendu sur le sol pendant un jour entier pour survivre à ma rencontre avec le nécromancien.

Je restai pétrifiée en l’entendant.

— Nécro-mancien ? —articulai-je, horrifiée.

Aryès leva la main, pour m’apaiser.

— Du calme, je me suis précipité en employant ce mot. C’est un celmiste orique. Pas un nécromancien. Ce qu’il y a, c’est qu’il a essayé de le devenir, mais il n’y est pas parvenu. Par contre, il a réussi à faire des choses étranges avec l’énergie mortique et, maintenant, c’est comme s’il était, disons, moitié…

Il se tut, l’air hésitant, et je haussai un sourcil, craignant le pire.

— Moitié quoi ? —l’encourageai-je.

— Moitié mort. La moitié de son corps est celle d’un squelette. Mais cela ne l’empêche pas d’être un excellent orique… Cependant, il est… très particulier. Disons qu’il a un esprit différent. Lorsqu’il m’a accueilli, il s’est montré très sympathique, sans aucun doute. Mais ses manières d’enseigner m’ont paru épouvantables.

— Et pourquoi es-tu resté si longtemps, alors ? —réussis-je à demander, malgré mon état de profonde confusion—. Et que veux-tu dire par « épouvantables » ?

Aryès se gratta la tête, et il allait répondre quand, soudain, une silhouette surgit de l’obscurité et des brumes de sable.

— Shaedra ? —murmura-t-elle, hésitante.

Je me levai aussitôt et je penchai la tête de côté. Cela ne pouvait être que Lénissu. Je me sentis soulagée de le voir et, en même temps, impatiente de savoir qui diables était ce celmiste orique qui avait enseigné l’énergie orique à Aryès pendant plusieurs mois.

— Je suis là —répondis-je—. Et devine qui est avec moi.

Le visage de Lénissu se dessina de plus en plus nettement au fur et à mesure qu’il approchait. Il passa devant moi, les sourcils froncés, et il s’inclina vers Aryès, l’observant avec attention, les doigts posés sur le menton.

— Que diables as-tu fait à tes cheveux ? —demanda-t-il finalement, sur un ton léger.

Aryès sourit et Lénissu éclata d’un grand rire, en le prenant dans ses bras.

— Tu m’as manqué, mon garçon !

— Chchut ! —fis-je, sans pouvoir retenir un large sourire en les voyant si émus—. Vous allez réveiller tout le quartier.

Lénissu s’écarta d’Aryès, souriant.

— Suivez-moi, allons dans un endroit plus tranquille.

Je compris ce qu’il voulait dire en entendant les rires débridés de deux ivrognes qui avançaient dans la rue sombre et nébuleuse. En silence, nous sortîmes de la place et nous suivîmes Lénissu. Je remarquai qu’il nous guidait vers le mont du Sanctuaire et je fronçai les sourcils, mal à l’aise. Kwayat m’avait donné des consignes précises pour trouver le lieu de rencontre, près du chemin qui montait au Sanctuaire, et le fait que Lénissu s’en approche autant ne me réconfortait pas. Il est vrai que j’avais de plus en plus envie de tout lui raconter, mais, comme lui ne racontait jamais rien, je ne voyais pas pourquoi j’allais révéler tous mes secrets. Même si certains étaient plutôt lourds. Sans le vouloir, je fis une grimace en m’imaginant sa réaction si j’adoptais soudain mon autre forme. Mieux valait ne pas y penser.

Le mont du Sanctuaire était couvert d’arbres énormes et magnifiques. De jour, il ressemblait à une île verte qui aurait surgi près d’un agglomérat de maisons et de jardins. Une promenade d’une vingtaine de mètres de largeur entourait la moitié de la colline et, dans l’obscurité de la nuit, des lanternes brillaient, perçant le brouillard qui tendait à les occulter. Dans le livre de Wiguy, on appelait cet endroit l’Anneau. En arrivant sur la promenade, Lénissu tourna à gauche. Peu après, il s’engagea dans une ruelle et se retourna vers nous.

— Je compte sur vous pour ne jamais venir ici sans ma permission —murmura-t-il.

J’arquai un sourcil et je le vis alors écarter un tonneau. Je plissai les yeux pour essayer de voir quelque chose. Lénissu ouvrit le sol et j’écarquillai les yeux… Il y avait une trappe, compris-je. Sans savoir à quoi m’attendre, j’échangeai un regard intrigué avec Aryès et nous suivîmes mon oncle par l’escalier qui descendait.

Tout était plongé dans l’obscurité.

— On n’y voit rien —me plaignis-je, à voix basse.

Lénissu referma la trappe derrière nous et alluma une lanterne. Je regardai autour de moi, curieuse. La pièce était petite. Il y avait quelques coussins, une caisse en bois avec un tas d’objets étranges et c’était tout.

— C’est… claustrophobique —commenta Aryès. Sa moue de désagrément montrait clairement qu’il se sentait mal à l’aise.

— Tu vis ici ? —demandai-je.

Lénissu laissa échapper un petit rire.

— Ce n’est pas mon logement préféré, mais oui, pour le moment, je vis ici. Qu’en pensez-vous ? Un de ses avantages, c’est qu’il est assez isolé. Bon, maintenant, Aryès, j’aimerais savoir où diables tu étais passé.

Aryès, cette fois, n’avait pas d’excuses pour reporter son récit. Nous nous assîmes sur les coussins et, pendant que Lénissu nous donnait des pommes, le kadaelfe s’agita, inquiet.

— Comme je disais à Shaedra, la nuit où elle s’est échappée, j’ai essayé de la chercher, mais je n’ai pas réussi à trouver la moindre trace. J’ai marché pendant plusieurs jours dans les montagnes et… —Il marqua une pause, hésitant—. Le maître Helith, un jour, m’avait parlé d’un de ses amis qui vivait dans les Hordes et qui pouvait m’en apprendre davantage sur l’énergie orique.

Lénissu haussa un sourcil.

— Alors comme ça, tu as passé ces derniers mois avec cette personne —déduisit-il.

— Et quelle personne ! —ajoutai-je, en secouant la main, mais Aryès me jeta un regard impérieux. C’était lui qui racontait l’histoire.

— Cette personne s’est avérée être un celmiste orique très habile —poursuivit-il—. Il est capable de voler jusqu’à la cime d’un arbre et d’en redescendre sans incident. Il peut accélérer la lévitation avec une grande précision. Ça a été… fantastique de l’avoir comme maître —ajouta-t-il, avec une admiration évidente.

Lénissu et moi, nous échangeâmes un regard pensif.

— Et ? —l’encourageai-je.

— Et… ça a été une expérience intéressante —dit-il—. Mais sa vie est trop solitaire et… euh… je dois avouer que c’était un maître horrible.

Je lui jetai un regard inquisiteur en me demandant pourquoi il ne disait pas à Lénissu ce qui m’avait le plus choquée : que ce prétendu maître était moitié vivant, moitié mort. N’avait-il pas l’intention de le lui dire ?

Aryès continua à parler de ses mois d’absence, racontant des scènes drôles, impressionnantes et étranges, mais il n’évoqua à aucun moment que ce fameux maître Pi dont il parlait, avait un jour aspiré à devenir nécromancien. D’après lui, cet homme avait tout l’air d’un ascète sympathique et excentrique aux idées insolites.

— Et les cheveux ? —demandai-je.

Aryès fit une moue.

— Euh… En fait, un jour, j’ai dépassé les limites en utilisant mes énergies et j’ai sombré dans un état d’apathisme et j’ai mis deux semaines à me rétablir. Une fois remis, je me suis rendu compte que j’avais les cheveux blancs.

Je le dévisageai, horrifiée.

— Mais c’est horrible ! —m’écriai-je—. Il aurait pu t’arriver quelque chose de très grave. —Je levai un doigt, menaçante—. Tu sais très bien combien il peut être dangereux de consumer la tige énergétique.

Aryès prit un air innocent.

— Je sais que cela peut être dangereux —reconnut-il—. Mais à toi aussi, cela t’est arrivé et tu t’en es remise. Je suis toujours le même, mais avec les cheveux blancs —ajouta-t-il avec un grand sourire.

Je le regardai fixement pendant un moment, puis finalement je souris.

— Si j’avais su que tu nageais dans de telles eaux, je serais allée te repêcher —lui assurai-je, un peu moqueuse.

Aryès roula les yeux.

— Sans aucun doute, je peux en dire autant.

— En tout cas —intervint Lénissu, pensif—, cela te donne un air de sage. Quoique… je suppose que tu sais ce que l’on dit des jeunes aux cheveux blancs comme toi.

— Oh, oui. Le maître Pi m’a raconté beaucoup d’histoires sur les zaharis.

— Les zaharis ? —répétai-je, sans comprendre.

— C’est une légende —m’expliqua Aryès—. On dit que ce sont des demi-dieux immortels qui furent capables de détruire la ville mythique de Dail-irliam.

Je fronçai les sourcils. Il me semblait avoir entendu ces histoires. Alors, soudain, mon visage s’illumina.

— Maintenant que tu le dis, je me souviens d’une ballade que Frundis m’a chantée une ou deux fois. Elle racontait l’histoire d’un de ces dénommés zaharis. Dans la chanson, on les appelait les Immortels Exilés. Et si je me rappelle bien, c’était le titre d’ailleurs : Les Immortels Exilés.

— Frundis te raconte bien des histoires à ce que je vois —observa Lénissu, en esquissant un sourire—. Apparemment, les zaharis ont aussi les cheveux blancs.

— Je suppose que ces immortels ne sont pas les seuls à avoir les cheveux blancs —rétorquai-je, en soufflant—. Je ne vois pas le rapport.

— Mais d’autres le verront, ma chère nièce —commenta mon oncle, théâtral—. Il y a des gens très superstitieux. Et tu sais bien qu’il existe des légendes qui sont devenues réalité —ajouta-t-il, en levant l’index d’un air savant.

— Le maître Pi avait une très mauvaise opinion des superstitions —déclara Aryès—. Mais, boh, aujourd’hui tout le monde se teint les cheveux de toutes les couleurs. La superstition a été éradiquée en Ajensoldra.

Lénissu le regarda fixement, une expression sarcastique sur le visage.

— Je suis ravi de l’apprendre, jeune homme.

Aryès haussa les épaules, se désintéressant du sujet. Nous parlâmes alors de son voyage de retour, d’Aefna et du Tournoi.

— Au fait, Shaedra —dit soudain Lénissu—, ce matin, j’ai été te voir combattre.

— Ah bon ? —m’exclamai-je, surprise.

— Tu ne luttes pas mal —me dit-il—. Quoique ces combats soient toujours un peu trop conventionnels. Trop de règles —commenta-t-il—. Mais quand tu as donné ce beau coup de pied à ce grand gaillard, tu m’as impressionné.

Je souris jusqu’aux oreilles.

— Vraiment ? Bon. C’était une idée de Syu. Moi, j’allais m’écarter sur le côté.

Lénissu ouvrit grand les yeux, très étonné.

— Je vois que Syu t’aide pour toutes sortes de choses. Où est-il en ce moment ?

— Il dort —répondis-je.

Syu était resté dans la chambre, avec Frundis. J’avais eu du mal à le convaincre que je ne pouvais pas l’emmener à la réunion des Communautaires. Je ne comprenais pas encore pourquoi un singe gawalt pouvait déranger, mais c’était partir du mauvais pied que de ne pas suivre quelques simples consignes. En plus, je préférais le savoir à l’abri, dans la chambre, qu’entouré de démons. Ce n’était pas que j’avais quoi que ce soit contre les démons, après tout j’en étais un ; cependant, parmi tous les démons que j’avais connus jusqu’alors, j’avais l’impression de ne pas en avoir trouvé un seul en qui avoir réellement confiance.

Cela me fit penser à l’heure et je sursautai, sentant mon sang se glacer dans mes veines.

— Quelle heure est-il ? —haletai-je.

Lénissu s’interrompit au milieu d’une histoire rocambolesque que, logiquement, il n’avait pas pu vivre, mais qu’il racontait comme si elle lui était arrivée la veille.

— Aucune idée —répondit-il—. Mais tu as raison, il se fait tard et vous commencez à me fatiguer avec tant de bavardages. Tu as des combats demain ?

— C’est possible —dis-je. Mon oncle bâilla et j’en fis autant—. Mais j’ai déjà fait plus de la moitié des combats que je devais faire. Ça, c’est déjà un poids en moins.

— Quel esprit de compétition ! —me félicita Lénissu, moqueur.

Je me levai et je croisai le regard d’Aryès. Tout d’un coup, j’eus une idée.

— Dis donc, Lénissu, Aryès m’a dit qu’il ne savait pas où dormir. Il pourrait rester avec toi, ici. Comme ça, tu ne te sentirais pas seul. Qu’en pensez-vous ?

Lénissu et Aryès échangèrent un regard et tous deux hochèrent négativement la tête en protestant.

— Allez, vous vous entendez à merveille —insistai-je—. Et comme ça, Aryès te surveillera pour que tu ne fasses pas de bêtises.

— C’est plutôt toi qu’il devrait surveiller —répliqua Lénissu—. Veux-tu que nous t’accompagnions à la Pagode au cas où tu tomberais sur un troll en chemin ?

Je grimaçai et je refusai, en secouant énergiquement la tête.

— Ce ne sera pas nécessaire, merci, oncle Lénissu. Les trolls ne me font pas peur. Bonne nuit.

— Bon, d’accord —dit Lénissu—. Aryès reste avec moi pour cette nuit. Mais dis-moi une chose, Shaedra. J’ai l’impression que tu t’en vas très précipitamment. —Il marqua une pause et, en voyant que je ne répondais pas immédiatement, il plissa les yeux, l’air méditatif—. Comme si quelqu’un t’attendait.

— M’attendre ? Bien sûr qu’on m’attend. Syu et Frundis, même s’ils doivent probablement déjà dormir comme l’eau dans un lac.

Je remarquai, cependant, qu’Aryès avait légèrement écarquillé les yeux. Il semblait avoir deviné quelque chose.

— Shaedra —intervint-il—, tu es sûre que tout va bien ?

Je lui adressai un sourire moqueur.

— Tout va bien —assurai-je—. J’ai un sommeil de mille démons —fis-je, en bâillant de nouveau—. Je vais dormir. Bonne nuit !

Et je sortis par la trappe en courant, pour qu’ils ne posent pas d’autres questions. Un instant, il me vint à l’esprit la terrible idée de placer le tonneau sur la trappe, mais je me retins. Je ne pouvais pas les bloquer parce que… et s’il m’arrivait quelque chose pendant la réunion des Communautaires ? Avec un soupir silencieux, je me fondis dans les ombres harmoniques, je traversai l’Anneau et je me dirigeai vers le chemin qui montait au Sanctuaire. Au pied de la montagne, il y avait plusieurs maisons. Je sondai l’obscurité de la nuit, à la recherche d’une porte arborant le symbole de la corporation des forgerons. Lorsque je la trouvai, je cherchai le jardin. J’essayai de me convaincre que je ne me trompais pas et je passai par-dessus le mur, en priant pour qu’il n’y ait pas de chiens de garde.

Mais non, je ne m’étais pas trompée. Dans le jardin, je vis l’arbre énorme dont m’avait parlé Kwayat. L’arbre s’élevait, imposant et lugubre dans la nuit. Je m’approchai et m’immobilisai, dans l’expectative. Kwayat m’avait enjoint de me rendre là et d’attendre. Tout était silencieux. Je m’assis sur une des racines de l’arbre et j’attendis, en me demandant cent fois pourquoi diables je me trouvais là. Les Communautaires ne m’avaient encore rien apporté, par contre, ils m’avaient donné des tas de préoccupations. Je me souvins des paroles de Sahiru. “Si tu sais gagner la confiance des Communautaires, ce sera un grand pas”, m’avait-il dit. Je ne voyais pas en quoi ce pouvait être un grand pas que de gagner la confiance d’un groupe dont le chef n’avait pas la moindre foi dans les principes pour lesquels luttaient ses membres. Apaiser les démons, les unir et éliminer leurs conflits… Cela semblait magnifique, mais pourquoi voulaient-ils me mêler à tout cela ?

J’entendis un bruit sourd et je m’agitai, anxieuse. L’heure était arrivée. La silhouette de Kierrel apparut dans le jardin, jetant des regards aux alentours, comme s’il cherchait quelque chose. À la lumière rougeoyante de la Bougie, il avait l’air d’un être surnaturel. Je pris mon courage à deux mains et je me levai.

— Je suis là —murmurai-je.

Je retins un sourire en percevant son léger mouvement de surprise. L’elfe noir me fit signe d’approcher.

— Bonne nuit —me dit-il, sur un ton grave—. Entrons.

Je le suivis vers des escaliers qui montaient jusqu’aux combles. Il poussa la porte et nous entrâmes. C’était un grenier tout à fait ordinaire, plein de bric-à-brac. Le toit était même percé par endroits et laissait s’infiltrer le sable rouge du désert. Les courants d’air me firent frissonner.

— Et Kwayat ? —demandai-je, après avoir observé l’intérieur.

Kierrel alluma une petite lampe à la lumière pâle et il s’assit confortablement dans un vieux fauteuil.

— Kwayat ne viendra pas. Il est occupé. Ne t’inquiète pas. Nous t’expliquerons simplement quelques règles que doivent suivre les démons. Allez, assieds-toi.

J’observai la pièce et, en voyant les outils en fer, je me rappelai que nous étions dans la maison d’un forgeron.

— Pourquoi une maison de forgeron ? —demandai-je, en m’asseyant sur un coussin moisi.

— Parce que, selon les croyances, les démons ont horreur du fer —dit Kierrel. Ses lèvres épaisses découvrirent des dents très blanches—. En plus, le forgeron qui travaille ici est notre ami.

J’ouvris grand les yeux.

— C’est aussi un démon ? —prononçai-je, tout étonnée.

— Tout à fait. Un bon forgeron. Il passe ses journées à donner des coups de marteaux et à recevoir des saïjits. Il vit comme l’un d’entre eux.

Il le disait avec une certaine moquerie et je fronçai les sourcils.

— Kwayat m’a dit que les démons, vous n’êtes pas… nous ne sommes pas réellement des saïjits.

Kierrel eut un large sourire.

— Bien sûr que nous ne le sommes pas. Celui qui possède la Sréda ne peut pas se considérer comme un saïjit. La forme que nous avons tout de suite n’est qu’une apparence. Vois-tu, moi, je suis né sous ma forme de démon et ce n’est qu’après que j’ai appris à me transformer en elfe noir.

Je le regardai fixement, avec une certaine appréhension, en essayant de m’imaginer Kierrel sous sa forme de démon.

— Comment se passe le Tournoi ? —me demanda Kierrel sur un ton naturel—. Il paraît que tu es une har-kariste de la Pagode Bleue.

— Oui. Euh… bon, en réalité, je suis seulement une apprentie.

— Bien sûr. Aujourd’hui, je suis allé voir le Tournoi har-kariste de niveau quatre. Smandji y était et il l’a emporté sur tous ses adversaires. Demain, il lutte contre Farkinfar. Tu les connais ?

Que je le veuille ou non, j’en savais long sur Farkinfar et Smandji, car il était impossible de ne pas écouter Sotkins lorsqu’elle était à côté, en train de raconter, surexcitée, tout ce qu’elle savait sur eux. Cependant, je fis non de la tête.

— Pas personnellement —répondis-je—. Mais on dit qu’ils sont très forts.

— Oui. Les combats sont impressionnants. Quoique cela ressemble plus à une danse qu’à une lutte —ajouta-t-il. À ce moment, on entendit un grincement et il se leva lentement.

— Combien sont-ils ? —demandai-je à voix basse.

Kierrel m’imposa silence. On entendit des coups frappés à la porte, comme un code secret. Un coup, trois coups rapides, deux lents et deux plus rapides. Presque exagérément long pour l’occasion : qui d’autre que les Communautaires pourrait bien se rendre au grenier ?

Deux humains entrèrent, l’un noir et l’autre petit et osseux, au visage maladif et flétri. Le premier était Dadvin, par contre je n’avais jamais vu le second.

— Bonne nuit —annonça joyeusement Dadvin, se laissant tomber dans le fauteuil où Kierrel était assis quelques instants auparavant—. Nous sommes tous là ? —Ses yeux malicieux balayèrent la pièce et il acquiesça, enthousiaste—. Enfin ! Alors commençons. Asseyez-vous, asseyez-vous. Cela faisait longtemps que je ne te voyais pas, Kierrel, comment vas-tu ?

— À merveille —répondit Kierrel, un éclat moqueur dans les yeux—. Alors, tu t’en charges ?

— À moins que Ray ne veuille s’en charger…

Ray n’était pas plus grand que moi et, s’asseyant à ma droite, il me sourit.

— Salut —me dit-il. Sa voix, faible, laissait entrevoir cependant une certaine fermeté.

— Salut —répondis-je, hésitante.

Décidément, la réunion ne se présentait pas du tout comme je m’y attendais. Je m’assis sur les coussins entre Kierrel et Ray et je remarquai que Dadvin me contemplait fixement. Mais je ne ressentis aucune perturbation énergétique tenter de s’immiscer en moi et j’essayai de me tranquilliser.

— Bon —dit Dadvin, en esquissant un sourire—. Nous sommes venus t’expliquer certaines choses. Étant donné que tu es maintenant un démon depuis… un an ?

Je fronçai les sourcils et fis non de la tête.

— Un an et demi —rectifiai-je.

— C’est cela. Récapitulons. Tu as bu une potion destinée au fils d’Ashbinkhaï et préparée par un certain Seyrum. Le Démon Enchaîné t’a recueillie. Jusque là, nous sommes d’accord, oui ? —J’acquiesçai—. Parfait ! Zaïx… t’a parlé par voix mentale, n’est-ce pas ? —J’acquiesçai de nouveau—. Et il t’a envoyé un instructeur indépendant, notre cher ami Kwayat.

— Tout à fait —répondis-je, prudemment.

— De sorte que cela fait seulement plus ou moins un an que tu sais ce qu’est la Sréda —poursuivit-il—. Mais Kwayat nous a dit que tu apprenais vite.

Je haussai les sourcils, surprise, mais je ne dis rien. Kwayat se plaignait toujours de ma lenteur, surtout ces derniers jours…

— J’ai été ravi de l’apprendre —continua-t-il—, parce que ce que nous allons te dire maintenant, tu ne vas pas pouvoir l’écrire pour le mémoriser plus tard. Tu devras te souvenir de chacun des mots que tu vas entendre —dit-il, en se penchant vers moi.

Ses boucles tombèrent sur son visage et il les écarta d’un geste de la main, avec le charme du séducteur.

— Allez-y —dis-je, en me mordant la lèvre avec appréhension—. De quoi s’agit-il ?

— Pas si vite ! —s’écria Dadvin, en s’inclinant en arrière—. Avant de passer aux choses sérieuses, j’ai apporté cela.

De son manteau, il sortit une boîte en métal. En la voyant, Kierrel laissa échapper un grognement.

— Dadvin, tu conserves encore cette boîte après ce qui est arrivé ?

L’humain noir s’esclaffa.

— Qu’est-il donc arrivé ? Je ne me souviens de rien.

Kierrel me jeta un coup d’œil, il secoua la tête et m’expliqua :

— Ce démon empoté a fait tomber la boîte en métal quand nous étions…

Un raclement de gorge de Ray le fit taire.

— Que contient cette boîte ? —demandai-je, curieuse.

— Ce qu’elle contient ? —fit Dadvin, en retrouvant le sourire—. Découvre-le toi-même.

Il déposa la boîte devant moi et, avec une certaine crainte, je touchai la boîte. Il n’y avait aucun flux étrange d’énergie asdronique. J’ouvris et je me mis à rire.

— Des friandises ?

— Plus que cela, petite, on les appelle les Flammes du Dragon. Ce sont d’authentiques merveilles. Tu veux les goûter ?

Je pris un des bonbons et je l’examinai attentivement. Je demandai alors sur un ton tout naturel :

— Et je suppose que ces Flammes de Dragon ne brûlent pas comme les vraies, n’est-ce pas ?

Dadvin fronça les sourcils, en prit un et le mit dans sa bouche.

— Cela dépend combien on en mange. Moi, une fois, j’ai eu une véritable indigestion. Délicieux —apprécia-t-il, la bouche pleine.

Je haussai les épaules, je décidai qu’il n’y avait pas de danger et je fourrai dans ma bouche un bonbon rond et mauve. La Flamme du Dragon avait un goût extraordinaire. C’était comme si l’on mangeait les chauds rayons du soleil du désert au milieu d’un tas de framboises fraîches. Je ne savais pas comment mieux le définir.

— Excellents —remarqua Kierrel.

— Extraordinaires ! —m’écriai-je.

— Ne regarde pas Ray d’un mauvais œil —dit Dadvin—, il ne sait pas apprécier les bonnes choses de la vie.

— Dadvin —dit patiemment Ray—, nous sommes venus ici pour manger ou pour parler ?

Dadvin soupira et acquiesça.

— Bon, d’accord. Vas-y, Ray, parle.

Le vieil homme le regarda longuement, il acquiesça et se tourna vers moi.

— Ton nom est Shaedra, n’est-ce pas ?

J’avalai le reste du bonbon tout en acquiesçant.

— Bien. Il y a certaines choses que tu dois savoir sur les démons, Shaedra —dit-il, avec lenteur et sérénité—. D’abord, il existe des règles strictes qu’il faut suivre. Elles ne sont pas écrites, contrairement à celles des saïjits, mais elles existent et elles sont importantes. Je suppose que Kwayat t’a enseigné les principales. Mais il est de notre devoir de nous assurer que tu les connais. Kwayat a dû te dire de ne jamais révéler à personne ce que tu es. Méfie-toi toujours des saïjits. Ils sont inconstants et traîtres. Je veux que tu saches qu’il existe des confréries chasseuses de démons. Elles sont peu nombreuses, grâce à nos efforts, mais elles existent encore. Et, bien sûr, il y a encore des démons qui ne respectent pas les règles et qui n’apprennent jamais. Ceci est une des règles principales : ne jamais parler des démons aux saïjits. Si quelqu’un apprend que…

— Je crois qu’elle a compris, vieil homme —intervint Kierrel—. Il n’est pas non plus nécessaire de le lui répéter dix mille fois. Tu peux passer à la deuxième règle.

— Bien. La seconde règle. Maintiens-toi le plus éloignée possible de la société saïjit. Je sais que, dans ton cas, c’est encore plus difficile. Mais je crois que tu y parviendras. Ensuite, viennent les questions concernant la Sréda. Elles sont primordiales. Kwayat a dû te les expliquer.

— Oui. Il m’a dit que la Sréda était sacrée et que c’était la vie et ce genre de choses —acquiesçai-je, en me rappelant de tout ce qu’il m’avait raconté sur la culture des démons au sujet de la Sréda.

Soudain, tous trois avaient pris un air bien plus sérieux et j’en déduisis que ce sujet était beaucoup plus important que le reste.

— La Sréda ne peut pas vivre sans nous et, nous, nous ne pouvons pas vivre sans elle —expliqua Kierrel.

— La Sréda est primordiale. La vie est ce qu’il y a de plus important. Rien n’est plus important —ajouta Ray.

Dadvin acquiesça avec gravité et je réprimai une moue. Tant d’histoires, mais, ensuite, d’après ce que m’avait raconté Kwayat, l’histoire des démons aussi avait ses guerres et ses époques sombres.

— Endommager la Sréda d’un autre démon est mal vu.

— C’est un acte méprisable —renchérit Kierrel—. Seul un lâche ferait une telle chose.

— Ou un néophyte —ajouta Ray, en me regardant—. Nous voulons nous assurer que tu as compris ce qu’est la Sréda et comment on la contrôle.

À partir de là, ils me posèrent un certain nombre de questions, auxquelles je répondis relativement bien ; c’est du moins ce qu’il me sembla. Cependant, lorsqu’ils me demandèrent si je savais déjà utiliser le sryho, l’énergie des démons, je demeurai quelque peu perplexe et Kierrel, finalement, se racla la gorge.

— C’est ce que je craignais —dit Kierrel après un silence—. En un an, on ne peut pas faire de miracles.

Dadvin acquiesça.

— Oui, mais elle a plus que l’âge d’apprendre. Kwayat doit lui enseigner à utiliser le sryho. Ce serait dommage de le gaspiller —me dit-il.

— Et pourquoi ce devrait être Kwayat qui lui apprenne ? —répliqua Ray avec lenteur, le regard perdu—. Nous, nous pouvons lui apprendre.

Pour une raison ou une autre, Dadvin et Kierrel le dévisagèrent, stupéfaits.

— Enseigner à la jeune fille, dis-tu ? —s’écria finalement Dadvin—. Impossible. Nous ne sommes pas des instructeurs.

— Selon les règles des Communautaires, n’importe qui pourrait être instructeur, non ? —rétorqua Ray, en esquissant un sourire.

Soudain, je sus pourquoi Ray avait un comportement aussi étrange. Sans nul doute, il était aveugle. Ses yeux étaient vides quand il me regardait. Comment ne m’en étais-je pas rendu compte plus tôt ? Je secouai la tête, surprise.

— Je comprends ce que tu veux dire, Ray —dit Dadvin, après un silence—. Mais il y a un petit problème. Tu as oublié Zaïx.

— Qu’est-ce qui se passe avec Zaïx ? —demandai-je, un peu perdue.

— Le Démon Enchaîné a passé un accord avec Kwayat —m’expliqua Kierrel—. Il n’y a pas de doute. J’aimerais savoir comment il a pu parler avec Zaïx.

Je me souvins des paroles de Kwayat : “Ils tenteront d’en apprendre davantage, assurément, mais Zaïx se débrouille toujours pour qu’on ne dévoile rien sur lui.” Ils auraient beau me cribler de questions, ils ne pourraient pas me soutirer grand-chose, car, à la vérité, je n’en savais pas très long sur Zaïx. Vu le nombre compté de fois où j’avais parlé avec lui, ce n’était pas étonnant. Cela faisait tellement longtemps qu’il n’apparaissait pas dans mon esprit que je me demandais même s’il pouvait lui être arrivé quelque malheur. Mais, comme il était enchaîné, je ne voyais pas comment ce serait possible. À moins qu’il soit mort de faim, mais j’en doutais.

— Vous savez très bien que Kwayat est un professeur extravagant —dit Ray—. Il a ses manies. S’il ne lui en apprend pas davantage sur le sryho, nous nous en chargerons.

— C’est un parfait démon —commenta Dadvin, en laissant échapper un petit rire.

— Il l’est —approuvai-je avec un demi-sourire—. Bon… il y a autre chose que je devrais savoir ?

Apparemment, ni Dadvin, ni Kierrel, ni Ray ne s’étaient beaucoup préoccupés de préparer ce qu’ils avaient à m’expliquer. Et je commençais à sentir mes paupières se fermer de fatigue : la journée avait été dure, j’avais lutté contre trois kals des pagodes et contre un garçon qui s’était présenté comme candidat libre, mais qui avait assez bien su se défendre. C’est à ce dernier que j’avais donné le coup de pied dont m’avait parlé Lénissu avec tant d’enthousiasme.

Je bâillai sans pouvoir me retenir. Dadvin échangea un regard avec Kierrel, l’air interrogatif.

— Shaedra —dit Kierrel, ses épais sourcils froncés—, essaie de convaincre ton instructeur de t’enseigner à utiliser le sryho comme il se doit. Tu es son élève. Il devrait savoir que tu as besoin d’en apprendre davantage. Mais s’il s’avère qu’il ne change pas d’opinion… —Il jeta de nouveau un regard à Dadvin et celui-ci acquiesça, pour donner son accord tacite—. Alors, nous devrons nous charger nous-mêmes de t’apporter les connaissances qui te manquent. Kwayat est un bon maître, mais il ne t’apprend pas tout ce qu’il devrait.

La vérité, c’est que cette affirmation ne me préoccupait pas beaucoup. Moi, je n’avais rien demandé à Kwayat, c’était Zaïx qui l’avait mis sur mon chemin. Et maintenant, les Communautaires voulaient voler le disciple de Kwayat. Je me raclai la gorge.

— Bon, si c’est tout, on verra ce qu’en dit Kwayat —dis-je, en commençant à me lever.

— Ce n’est pas tout —dit Ray, en levant sa tête chauve et ses yeux d’aveugle.

Je le regardai, je soupirai patiemment et je me rassis.

— Et qu’avez-vous d’autre à me dire ?