Accueil. Les Pixies du Chaos, Tome 4: Destruction

21 Le vœu des Yaragas

“Je suis sûr que tu le feras bien,” avait dit mon père. Dieux des démons… deux heures après avoir commencé à sonder la clé et les Gemmes, je n’en étais plus si sûr.

Le matériel des Gemmes était résistant et malléable, une bonne chose car il était plus difficilement cassable, et une mauvaise chose car il s’accrochait si bien à la clé des Rotaeda que celle-ci n’avait pas bougé. Elle s’était même enfoncée quelques millimètres de plus.

— « Maudite clé ! » siffla Sharozza.

Elle était en train de perdre son sang-froid. Les bloqueurs étaient habitués à exécuter des travaux bien bruyants, efficaces et grandioses. Les tâches minutieuses comme celle-ci n’étaient pas faites pour eux. Avant qu’elle n’assène un coup de pied à la clé, je la tranquillisai, levant une main.

— « Laisse-moi faire. C’est mon tour. »

— « Non, c’est mon tour, » intervint Bluz. « Moi… je n’ai encore rien fait. »

Ce n’était pas vrai : il avait aidé à sonder et il avait été le premier à remarquer le murmure confus que l’on entendait chaque fois que l’on touchait les Gemmes ou la clé. Et il avait gardé son calme. Je le laissai faire cependant. Je ne voulais pas qu’il se sente inutile pour son premier grand travail.

Le jeune moine s’avança et toucha la clé. Sa main trembla un peu. Un peu seulement. Je souris. Il apprenait rapidement à se contrôler. Je pouvais en témoigner : quand j’avais touché les Gemmes pour la première fois, j’avais eu la sensation qu’une de ces goules des livres arrachait mon âme, et mon Datsu s’était délié brusquement. Mon jaïpu, au-dedans de moi, tremblait encore comme un anobe roué de coups.

Bluz continua avec notre plan : décoller l’étrange cristal des Gemmes petit à petit, en introduisant de fines lamelles de papier spécial entre celui-ci et la clé pour éviter qu’il ne continue à absorber son énergie. Il parvint à pousser plus profondément l’une d’elles qui était déjà en place. Le plus grand succès de la dernière demi-heure, me réjouis-je.

— « C’est étrange, » murmura Bluz. « On dirait qu’on entend parler à l’intérieur. On dirait des voix. »

Je relevai la tête. Des voix ? Il toucha les Gemmes de ses deux mains. Je fronçai les sourcils. Que faisait-il ? Je l’entendis alors aspirer une bouffée d’air.

— « Drey. Sharozza. Il y a… il y a des gens là-dedans ! Ils parlent, ils… »

Il haleta soudain et vacilla. Je m’empressai de m’approcher et de l’agripper. Mais il tomba malgré tout.

— « Eh. Eh, » m’inquiétai-je, l’allongeant.

Bluz respirait précipitamment. La lumière blanche de la salle éclairait son visage livide comme le calcaire. J’échangeai un regard alarmé avec Sharozza et tous deux nous exclamâmes :

— « Buz ! »

— « Ne meurs pas, novice ! » grogna Sharozza, se penchant au-dessus de lui.

— « Ne meurs pas, Buz ! » balbutia Kala.

L’humain sourit très légèrement.

— « C’est Bluz, pas Buz, » souffla-t-il. « Et je suis peut-être un novice, mais je crois que j’ai compris pourquoi les Gemmes ne lâchent pas la clé. Ce sont… les Yaragas. Tout simplement… ils ne… veulent pas… la lâcher. Drey, Sharozza, je crois… que je suis en train de mourir… je suis désolé… Mon maître… j’ai promis à mon maître d’être prudent et je… »

Deux larmes coulaient sur ses joues quand il se tut brusquement. Mon Datsu se débrida quand je le vis fermer les yeux. Cependant, il respirait toujours. Il s’était évanoui. J’entendis des pas précipités et je levai mon regard vers l’équipe d’experts qui s’approchait. Ils emmenèrent Bluz loin des Gemmes, près des tables. Ils l’allongèrent sur l’une d’elles et un des celmistes, un guérisseur visiblement, s’apprêta à l’examiner. Sharozza et moi, nous l’observâmes avec inquiétude. Les paroles de Bluz m’avaient intrigué. Il avait parlé des Yaragas, les fanatiques qui s’étaient suicidés, offrant leurs jaïpus aux Gemmes. Se pouvait-il que les Gemmes aient non seulement absorbé leurs énergies internes mais aussi, d’une certaine façon, leurs esprits ?

Tout compte fait, cette relique avait servi à créer un programme bréjique pour les colliers des dokohis, mais… c’étaient Lotus et Rao qui avaient créé ce programme. C’étaient eux qui avaient fabriqué le tracé en s’aidant des Gemmes. Alors, quel était exactement le pouvoir de ces Gemmes ?

— « Votre compagnon est très faible, » reconnut alors le guérisseur. « Un peu plus et cela aurait pu être beaucoup plus grave. »

Beaucoup plus grave, me répétai-je. Mais comment ? Il portait les gants avec les runes comme nous et il n’avait touché les Gemmes qu’avec ses mains… J’entendis les dents de Sharozza grincer.

— « Retournons-y, » me proposa-t-elle. « Nous allons sortir cette maudite clé une fois pour toutes, Drey. Je ne laisserai pas Bluz se sacrifier en vain ! »

Pour une fois qu’elle prononçait son nom correctement, le jeune moine ne pouvait pas l’entendre. Nous revînmes auprès des Gemmes de Yaraé. Mon Datsu était toujours délié. Mais cela ne me dérangeait pas : je n’avais pas besoin de sentiments maintenant. Je touchai la zone de contact entre la clé et le cristal et me concentrai.

Au bout d’un moment, je me rendis compte qu’effectivement, ce que j’avais confondu avec un grésillement énergétique était en fait des voix. Des voix d’hommes, de femmes et d’enfants. Des voix bréjiques. Après les avoir écoutées un temps et tenté de les distinguer, j’arrivai à la conclusion que le ton était tout sauf amical. Il était plutôt insultant. Ils aboyaient comme une meute de chiens.

J’examinai mon jaïpu. Naturellement, je ne le contrôlais pas aussi souvent que la tige énergétique. C’est pourquoi je ne savais pas très bien jusqu’à quel point il était en train d’être absorbé. Mais je n’avais pas l’impression qu’il soit en si mauvais état que ça non plus. À genoux, auprès de la clé, je lançai un sortilège bréjique vers les Gemmes.

“Vous ! Pourquoi voulez-vous cette clé ?”

Je perçus une réponse immédiate : un silence suivi d’un grondement dirigé contre moi. Bluz avait-il tenté la même chose ? En tout cas, l’« attaque » buta contre mon Datsu. Je ne sus pas très bien pourquoi, mais il semblait que la quantité de jaïpu absorbée dépendait de la capacité des Gemmes à établir un contact bréjique avec l’être vivant qu’elle touchait. Disons que, d’une certaine façon, le Datsu me protégeait.

Ceci était une bonne nouvelle.

À présent, je devais tenter de parler avec ces consciences emprisonnées. S’il était possible de vraiment parler avec elles. Je levai une main pour dire à Sharozza que tout allait bien et je lançai par bréjique :

“Eh. Vous, les Yaragas. J’ai quelque chose à vous dire : je me fiche de vos Gemmes et de cette clé comme d’une drimi, mais vous venez d’attaquer un compagnon à moi et, ça, je ne le pardonne pas. Vous vous êtes réfugiés dans cette relique, croyant que vous êtes en sécurité parce que personne ne va la détruire, c’est ce que vous pensez, n’est-ce pas ?” Ils m’écoutaient. Je souris de biais. “Ingénus. Si vous ne lâchez pas la clé, je vais briser ces Gemmes en deux et vous n’allez rien pouvoir faire contre moi parce que votre relique ne m’affecte pas…”

“Et pourquoi ne le fais-tu pas maintenant ?” s’exclama une voix lointaine. “Pourquoi ne nous détruis-tu pas si tu peux le faire ? Sbire de la Guilde ! Nous, nous n’écoutons que les désirs de Lotus, notre dieu !”

Un tumulte se fit entendre. Je soupirai. Et Kala s’énerva.

“Maudits ! Lotus n’est pas un dieu, c’est mon père !”

Ceci généra un silence suivi de protestations et de malédictions. Je toussotai mentalement.

“Là, ton rôle de conseiller spirituel n’a pas aussi bien marché, Kala.”

Je marquai un temps, constatant avec surprise la rage du Pixie. Il laissa soudain échapper un rugissement bréjique qui imposa le silence à la relique.

“Cela me révolte !” rugit-il. “Vous parlez de Lotus comme si c’était un être divin ! Lotus n’est pas un dieu ! Lotus est vivant ! Arrêtez de parler de Lotus comme si vous le connaissiez, bande d’ânes bâtés !”

Il souffla de dépit. Moi, je me contentai de faire un autre geste vers Sharozza pour la tranquilliser… et je me rendis compte que l’Exterminatrice avait posé une main sur les Gemmes. À sa moue stupéfaite, je compris qu’elle écoutait la conversation. Attah… Je lui adressai un petit sourire, comme pour dire : c’est tout du théâtre, bien sûr. Sauf que Kala était imparable.

“Je ne sais pas comment vous en êtes arrivés au point de donner votre vie pour un tas de ferraille chargé d’énergie. Je ne peux pas m’imaginer de pires tourments que ceux que j’ai vécus et, à ma grande honte, je me rappelle avoir souhaité la mort, mais je suis toujours là, vivant ! Et tout ça grâce à Lotus, mon père : il m’a sauvé de mon ignorance ! Honte à vous ! Ayez honte devant lui ! Honte à vous, saïjits sans noms, qui avez attaqué l’innocent Buz !”

Sharozza avait les yeux écarquillés. Et moi aussi. Les Gemmes de Yaraé s’étaient mises à briller. Et à crier par bréjique. Les Yaragas se lamentaient.

“Moi, je ne voulais pas mourir !” assurait l’un.

“Lotus nous a laissé une mission !” disait un autre. “Il nous a chargé de protéger les Gemmes qui ont causé tant de douleur dans le passé ! Nous les avons protégées contre la Guilde ! Personne ne s’approchera plus jamais de notre relique ! La Guilde ne nous écrasera plus jamais !”

“Maman !” criait une fillette, en pleurs. “Je veux sortir, je veux sortir !”

Bientôt, ma tête s’emplit d’un brouhaha tonitruant. Combien étaient-ils ? Quarante ? Soixante ? Cent ? Trop pour les comprendre tous. Comment Rao était-elle parvenue à fonder une secte aussi nombreuse ? Comment l’avait-elle abandonnée sans la démanteler avant ? Était-ce vrai… qu’elle leur avait demandé de protéger les Gemmes ? Étaient-ce réellement des fanatiques ? Ou alors des idéalistes ? Quelle était la différence ?

“Je veux sortir !” répétaient plusieurs enfants.

“Alors, sortez !” leur répliqua Kala. “Pourquoi restez-vous à l’intérieur ? Sortez !”

Et comment diables allaient-ils sortir s’ils n’avaient pas de corps ? Je soufflai. Kala délirait. Il était impossible de tenter de discuter avec ces gens. Ils étaient désespérés, dégoûtés de la vie et, aux paroles que j’entendais contre la Guilde, je compris que plus d’un avait souffert les conséquences de la Guerre de la Contre-Balance. La haine les animait avec une force certaine : les Gemmes de Yaraé commencèrent à émettre un sifflement perceptible dans toute la salle. Plusieurs membres de l’équipe des Rotaeda, inquiets, s’interrogèrent entre eux. Les Yaragas hurlaient si fort qu’on aurait presque dit… qu’ils allaient faire exploser les Gemmes. Ce qui, d’un côté, ne m’aurait pas déplu, car cela aurait signifié que la Guilde n’allait pas pouvoir les utiliser pour ses expériences. Mais, d’un autre côté, j’allais me retrouver sans récompense… et, avec l’explosion, peut-être n’allions-nous pas sortir de là indemnes.

J’entendis tout à coup un bruit métallique très clair et je baissai un regard incrédule sur le sol. La clé… avait été crachée par les Gemmes de Yaraé et était tombée avec les lamelles de papier. Je n’arrivais pas à le croire. Sérieusement… ?

Je remarquai alors le teint pâle de Sharozza et je me précipitai avant que la bloqueuse ne heurte le sol.

— « Je vais bien… » marmonna-t-elle.

— « Tu mens encore plus mal que ma sœur, » lui répliquai-je.

Je l’éloignai des Gemmes et laissai les autres dans la salle s’occuper d’elle. Ils la portèrent jusqu’à une autre table à côté de Bluz. Sharozza grognait.

— « Je vais bien, je vous dis ! »

Je récupérai la clé, la fourrai dans ma poche et m’écartai des Gemmes. Celles-ci avaient l’air si vivantes que j’avais l’impression qu’à tout moment, elles pouvaient ouvrir la bouche, sortir leur langue et m’avaler tout entier. Je m’efforçai de recouvrer mon souffle. Je me sentais faible. Mais pas au point de défaillir. Les Gemmes émettaient un sifflement de plus en plus insupportable. J’ôtai mon masque pour me boucher les oreilles avec les protecteurs que je portais toujours sur moi. J’allais remettre le masque, quand, soudain, quelqu’un dans la salle s’écria :

— « Les runes sont en train de se rompre ! »

Je vis clairement les cercles énergétiques sur le sol de la salle s’éteindre l’un après l’autre. Je reculai rapidement vers les tables et ôtai le protecteur d’une oreille.

— « Que se passe-t-il ? » demandai-je.

Tojira, le guide qui nous avait fait signer les contrats, me regarda, le visage livide.

— « Je n’en sais rien. »

— « S’il vous plaît, évacuez la salle ! » cria alors quelqu’un qui avait l’air d’être un professeur malgré son jeune âge.

— « Évacuez les blessés ! » reprit un étudiant.

Plusieurs se chargèrent de Bluz et de Sharozza et se dirigèrent vers la sortie tandis que les autres se concentraient pour reformer les cercles de runes aussi vite que possible. S’ils n’y parvenaient pas à temps… allez savoir ce que les Gemmes pouvaient faire maintenant qu’elles étaient si furieuses. Un étudiant, qui venait de refranchir la porte, me lança :

— « Évacue, s’il te plaît, le lieu n’est plus sûr ! »

Je levai une main apaisante.

— « Je le sais. Mais, si les Gemmes éclatent, il vaudra mieux que je sois là pour vous protéger. Je reste. »

— « Et moi aussi, » lança Sharozza depuis la porte.

Elle entra de nouveau et avança vers moi. On remarquait à peine qu’elle était à bout de forces. Je roulai les yeux et lui répliquai à voix basse :

— « N’en fais pas plus que tu ne le peux. Lustogan ne me le pardonnerait pas. »

Les yeux de la bloqueuse flamboyèrent.

— « Et, moi, je ne me le pardonnerais pas si quelqu’un venait à mourir par notre faute. Je ne sais pas pourquoi tu as commencé à dire tout ça à ces Yaragas, mais on dirait que ça ne leur a pas plu. »

— « Au moins, la relique a craché la clé, » me justifiai-je, la sortant de ma poche.

Celle-ci était assez lourde. La tige et l’anneau étaient noirs, mais l’autre extrémité avait un éclat d’un vert bleuté. Je la remis dans la poche de ma tunique, réajustai le masque et me positionnai derrière deux runistes, tandis que Sharozza se plaçait du côté opposé. Je fixai mon regard sur les cristaux rouges des Gemmes. Leurs pointes étaient devenues blanches et resplendissaient presque comme le soleil, illuminant le plafond de la salle d’un éventail de lumière.

Je réprimai une moue tendue.

“Tu as mis un sacré bazar, Kala.”

* * *

Nous persévérâmes ainsi un temps interminable : les runistes refaisaient les cercles que les Gemmes brisaient et, Sharozza et moi, nous maintenions le tracé d’un bouclier orique prêt à être activé au cas où une catastrophe surviendrait. Finalement, je compris que les runistes n’en pouvaient plus. Je captai plus d’un regard sombre. M’accusaient-ils d’avoir endommagé les Gemmes ? Alors, l’un d’eux se leva en disant :

— « C’est inutile. Les Gemmes ne se calment pas. Qu’allons-nous faire, professeur ? »

Les yeux de celui-ci brillaient d’appréhension. De l’appréhension ? De la peur, plutôt. Nous ignorions de quoi étaient capables les Gemmes dans cet état. En tout cas, elles avaient l’air d’absorber le jaïpu encore plus efficacement. Elles parvenaient même à aspirer le jaïpu présent dans les runes de contention, détruisant celles-ci. Après un silence tendu durant lequel on n’entendait que le grésillement énergétique des Gemmes, je lançai :

— « Laissez-moi vérifier quelque chose. »

Je m’avançai sous les regards stupéfaits des runistes. Le jeune professeur protesta, tendant une main vers moi :

— « C’est dangereux… ! »

L’ignorant, je continuai à avancer, je parvins devant les Gemmes et je trompai mon Datsu pour qu’il se libère le plus possible. Je ne l’avais jamais forcé autant volontairement. Le fait est que la quantité de jaïpu absorbé baissa drastiquement. Je levai une main vers le cristal. Je vis le reflet de mes yeux étinceler, plus rouges que les Gemmes.

Quand ma main gantée toucha la relique, une rafale bréjique m’assaillit. Aux sautes de voix, il semblait que les âmes des Yaragas s’agitaient dans leur prison. Pas toutes : la majorité était des voix d’enfants. Les adultes tentaient de les calmer. Je lançai :

“Yaragas. Vous connaissez Rao ?”

Au milieu des lamentations des enfants, j’entendis un silence profond. La voix d’un homme répondit :

“Toi, tu la connais ?”

Il la connaissait donc. Peut-être qu’il ne faisait pas le lien entre elle et son dieu Lotus, ou peut-être qu’il ne savait pas que c’était elle qui avait créé les dokohis avec le véritable Lotus. Je fronçai les sourcils et, sans répondre, je lâchai :

“Les Gemmes ont créé les dokohis. Je me demandais d’où pouvaient bien venir ces fameux Spectres de l’Angoisse indispensables pour les colliers. Mais ils n’ont pas été capturés, n’est-ce pas ? Les ‘spectres’… ce sont les Gemmes qui les créent. À partir des saïjits qui s’y enferment. Je me trompe ?”

J’observai que les Yaragas s’étaient tus, y compris la plupart des enfants. Le sifflement des Gemmes disparut. Que personne ne réfute ma théorie m’aurait sûrement affecté sans l’état présent de mon Datsu.

“Si cela est vrai,” poursuivis-je, “alors, soit les esprits enfermés dans les Gemmes se sont détériorés lorsqu’ils ont été transférés dans les colliers, soit ils se sont détériorés avant. Si tel est le cas, avec le temps, vos esprits deviendront comme ceux des spectres, vous serez incapables de vous rappeler pourquoi vous êtes là-dedans et vous ne pourrez pas protéger les Gemmes pour lesquelles vous vous êtes sacrifiés. Pour comble, la Guilde vous utilisera peut-être pour créer de nouveaux colliers. Une triste fin.”

Une vague bréjique que je ne réussis pas à comprendre m’atteignit. Un sentiment ? De l’incompréhension, peut-être ?

“Tu les as brisés, Drey,” laissa alors échapper Kala, alarmé.

Je les ai brisés ? Je regardai ma main gantée contre le cristal. Voulait-il dire sur le plan émotionnel ?

“C’est l’objectif,” dis-je alors. “Ils ont donné leurs vies pour que les Gemmes ne soient pas réutilisées et c’est eux qui ont fini par être utilisés par ces Gemmes. Il est bon qu’ils le comprennent. Encourager la relique à aspirer le jaïpu est contre-productif. Le mieux qu’ils puissent faire est d’essayer de détruire les Gemmes de l’intérieur.”

J’entendis des voix derrière moi. Il y avait davantage de gens dans la salle, venus s’enquérir de ce qui se passait. Je ne me déconcentrai pas. Un Yaraga lança :

“Les détruire ? Assurément, tu ne fais pas partie de la Guilde ou alors tu te moques de nous… Si tu connais vraiment Lotus… dis-lui que nous attendons ses ordres. Dis-lui que cela ne nous dérange pas d’avoir donné nos vies pour protéger les Gemmes. C’était notre vœu, notre promesse. Dis-lui que nous partageons son rêve au plus profond de nous.”

“Son rêve ?” répéta Kala, intrigué. “Vous êtes au courant… ?”

“Le Rêve des Pixies,” expliqua le Yaraga. “L’harmonie du chaos. Nous avons prêché contre l’obscurité de la Guilde et ses mensonges, prônant une vie meilleure. Et prêché contre l’utilisation des reliques. Nombre d’entre nous ont subi des persécutions sans même être des sympathisants de la Contre-Balance. Nous nous sommes trouvés au milieu du conflit, un conflit qui a continué à nous ronger au-dedans même après la guerre… Mais nous ne nous résignons pas. Nous continuerons à avancer jusqu’à la fin. Et nous détruirons les Gemmes le moment venu. C’est pourquoi, si tu sais où est notre dieu… s’il te plaît, dis-lui que ce n’est pas sa faute si nous mourons. C’était notre décision à tous.”

Je sentis que des gens s’approchaient derrière moi. Je toussotai, respirant difficilement. Si, par « notre dieu », le Yaraga faisait allusion à la Rao qui se faisait passer pour Lotus…

“Je le lui dirai,” promis-je. “Si vous êtes réellement capables de détruire ces Gemmes depuis l’intérieur, alors, je laisse ça entre vos mains : les détruire maintenant me mettrait dans une situation délicate. J’ai signé un contrat.”

“Est-ce que je peux connaître ton nom, compagnon ?” demanda alors le Yaraga.

Compagnon, disait-il… Pourquoi cette familiarité soudaine ? Je fis une moue, indécis.

“Kala,” dit le Pixie. “Je suis Kala.”

À cet instant précis, des mains m’agrippèrent pour m’écarter des Gemmes.

— « Drey ! » disait la voix de Sharozza. « Tu es fou ! Que fais-tu à appuyer ton front contre le cristal ? Tête d’anobe ! »

Avais-je appuyé mon front contre le cristal ? Ah, oui. C’était pour mieux entendre les Yaragas, n’est-ce pas ? Quelqu’un m’ôta le masque sans égards. Je grognai.

— « Sharozza… Arrête de me secouer. Je vais bien. »

— « Tu mens encore plus mal que ta sœur, » me rétorqua la bloqueuse, vindicative, tandis que des mains me traînaient loin des Gemmes.

Mon jaïpu avait réellement souffert, remarquai-je. C’était étrange. J’aurais juré que cela n’avait pas été si grave… Mais maintenant que mon corps reposait sur un brancard, la fatigue m’écrasa comme une roche, mes bras tombèrent sur mes flancs comme deux sacs de sable et j’entrouvris les paupières, croyant soulever deux enclumes. Je croisai le regard inquiet de Sharozza.

— « Elles se sont… calmées ? » demandai-je dans un filet de voix. « Les Gemmes. »

Un éclat furieux flamboya dans les yeux de l’Exterminatrice, alors qu’elle me suivait dans le couloir sans prêter attention aux porteurs.

— « C’est ce qu’on dirait. Mais, diables, tu m’as bien eue, bandit. Tu avais l’air si sûr de toi que j’ai cru que tu savais ce que tu faisais. ‘Laissez-moi vérifier quelque chose’, oui, c’est ça ! Et tu ne te rendais même pas compte que tu tombais contre le cristal ! J’ai envie de vous donner une bonne gifle à toi et à Bluz. Je me retiens de justesse, je te le dis. Que Bluz ait gaffé, je peux le comprendre parce que c’est Bluz. Mais toi, Drey, Lustogan t’a appris ! Je lui parlerai de ça, tu n’y coupes pas et… Bon, je ne veux pas te saouler, nous avons accompli le travail malgré tout plus facilement que je ne l’aurais imaginé, les deux-cent-mille kétales sont à nous… » Ses yeux violets étincelèrent de satisfaction et s’assombrirent aussitôt, me foudroyant. « Mais tu n’auras pas un kétale, tu m’entends ? Ta part et la mienne iront directement au temple pour la dette de Lust. Ne souris pas, tu vas t’évanouir. Tu ne vas pas si mal, hein ? Bandit, je vais te secouer ! Quelle image nous allons donner ! Nous venons à trois pour le travail d’un seul destructeur, et deux de nous succombent ! La honte ne m’effraie pas, mais le Grand Moine, le Grand Moine, Drey ! Si quelque chose t’était arrivé, il m’aurait bannie, à coup sûr, et il m’aurait envoyée chasser des doagals dans les tunnels ! »

Sharozza parlota durant tout le chemin jusqu’à l’infirmerie. Heureusement, je cessai de l’entendre, quand, exténué, je m’endormis brusquement.

* * *

J’étais dans une barque. Sur la mer noire d’Afah. Mais il n’y avait pas de plafond, il n’y avait pas de caverne : là-bas en haut, il n’y avait qu’une interminable tempête. Les vagues faisaient rage, crachant l’écume. Le vent rugissait. Ma barque sombrait et, moi, j’étais éjecté. Moi ? Non, je n’étais pas seul. J’étais avec Kala. Tous deux, nous nous agrippions de toutes nos forces à un tronc tandis que le courant nous entraînait au fond d’un tourbillon, vers la mort…

Que la mort était étrange. Je n’avais jamais imaginé qu’elle puisse être aussi mouvementée. Elle était chargée d’orique. C’était une mort destructrice, souris-je. Une de ces tornades dont parlait les livres.

“Je ne veux pas mourir !” se désespérait Kala. “Je veux sortir ! Je veux vivre !”

Je le sermonnai :

“Ne t’agite pas, Kala. Tout va bien.”

“Tout va bien ?!” répéta le Pixie, incrédule. “Tout va bien ?!”

Ne me croyait-il pas ? Les eaux tonitruantes retentissaient à nos oreilles. Kala se cramponna à moi, me secouant, et… j’entendis un cri :

— « Mahi, mahi, réveille-toi ! »

J’ouvris les yeux comme un automate et croisai le regard inquiet d’un jeune humain aux cheveux bouclés. Je clignai des paupières, désorienté.

— « Qui es-tu ? »

Son visage se changea en un masque de perplexité.

— « Bluz, je suis Bluz ! » répondit-il.

Ah. Bien sûr. Je me redressai sur le lit et jetai un coup d’œil à la pièce. Seules les lanternes de l’entrée éclairaient faiblement les lieux mais, avec mes yeux de kadaelfe, je distinguai sans peine la file de lits. À en juger par les énormes baies vitrées qui se dressaient derrière moi, je compris que nous nous trouvions à l’infirmerie de l’Académie Celmiste de Dagovil. Je fus surpris de voir le désordre autour de moi. Les couvertures et les oreillers des lits étaient par terre, ainsi que de petits objets : des bols en bois, une cruche d’eau qui, miraculeusement, ne s’était pas cassée en tombant… Je grimaçai. Une nouvelle fois, j’avais utilisé l’orique en dormant.

Je remarquai finalement les deux infirmiers près de la porte. Ils avaient l’air effrayé quand ils s’approchèrent.

— « Tu vas bien, mahi ? » demanda l’un d’eux.

Non, je n’allais pas bien. Je me sentais faible et engourdi. Kala indiqua le désordre d’un geste vague :

— « Ce n’est pas moi qui ai fait ça. C’est le vent de la tempête. »

J’arquai un sourcil. Le Pixie avait donc fait le même rêve. Que je sache, c’était la première fois que cela arrivait. Bluz pouffa discrètement.

— « Ça, c’est avoir des rêves on ne peut plus réalistes. Je ne savais pas que tu avais ce genre de problèmes, mahi. »

Il avait presque l’air de se réjouir. Je levai la main et consultai mon anneau de Nashtag. Il était deux heures. Pour Dagovil, l’o-rianshu venait de commencer. Ce qui voulait dire que j’avais dormi environ six heures. Je jetai un coup d’œil las à Bluz. Maintenant que mon orique s’était calmée, l’humain s’était rallongé, exténué. Visiblement, notre jaïpu ne s’était pas encore rétabli.

— « Est-ce que vous avez… sorti la clé ? » demanda-t-il d’une voix rauque.

Je fermai les yeux en bâillant.

— « Oui. Mais je ne sais pas comment. Je crois que les Yaragas ont perdu la raison un instant et les Gemmes l’ont crachée. »

— « Les Yaragas ! » s’exclama Bluz, me faisant rouvrir les yeux. « Alors, est-ce vrai que… ? »

— « Aucune idée. C’est ce que tu as dit, toi. Peut-être que ce n’étaient pas des voix réelles, » mentis-je. « En tout cas, les Gemmes se sont calmées et nous avons récupéré la clé. Nous avons accompli le travail. Tu toucheras ta part. »

Nous n’avions pas utilisé nos compétences de destructeurs, mais bon, personne n’avait à le savoir. Le sourire sur le visage de Bluz disparut soudain.

— « Je sais que c’est ridicule, » chuchota-t-il, « mais je ne me sens pas le droit d’accepter ma part de la récompense. Je n’ai rien fait. Je… »

— « Sottises, » le coupai-je, fermant de nouveau les yeux. « Tu nous as aidés plus que tu ne le crois. Tu auras ta récompense. »

— « Euh… Je ne voudrais pas déranger, » toussota l’un des infirmiers. J’entrouvris un œil. C’était une humaine aux longs cheveux blonds. Elle me tendait un bol. « Nous vous apportons un remède qui vous revigorera. Vous devez le boire tout de suite. »

— « Votre jaïpu a souffert plus que vous n’avez l’air de le penser, mahis, » intervint son compagnon. « Un peu plus et… »

— « Vous vous remettrez plus vite en buvant ce bouillon, » l’interrompit l’infirmière avec un sourire professionnel. « C’est Rayel d’Isylavi qui vient de le préparer pour vous. Buvez-le d’un trait et cela passera facilement. »

Isylavi ?, m’étonnai-je. Les Isylavi étaient connus pour leurs destructeurs, pas pour leurs cuisiniers. Je me rappelai alors les paroles qu’avait prononcées Perky dans la caverne du Temple du Vent. Sa mère était alchimiste. Je me redressai, prenant le bol, et scrutai le liquide doré et chaud. Était-ce elle qui… ?

Bluz avait déjà porté le bol à ses lèvres et il s’étrangla sans pouvoir réprimer une grimace de répugnance. Et cela passera facilement, nous avait dit la blonde… Ce bouillon était-il si écœurant ? Je soulevai le bol et bus. Kala s’étouffa à la première gorgée.

“Mais c’est quoi, ça ?” se déprima-t-il.

Le goût était, de fait, répugnant. On aurait dit que Rayel d’Isylavi avait appris ce qui était réellement arrivé à son fils au laboratoire du Grand Lac et qu’elle avait décidé de m’éliminer…

Je reçus le coup d’œil interrogatif de Bluz. Si tu le bois, je le bois, semblait-il me dire. Mmpf. Mon Datsu se débrida et je continuai à boire malgré Kala. Le liquide était chaud, il piquait comme les dridolles et il calma ma faim aussi efficacement qu’un bon plat de tugrins. Je terminai le bol et le rendis à l’infirmière.

— « Merci pour les soins. Il vaudra mieux que nous partions maintenant… »

— « Désolé, mais ce n’est pas possible, » dit l’infirmière avec fermeté. Elle replaça ma couverture qui s’était envolée tout en expliquant : « Nous avons l’ordre de prendre soin de vous jusqu’à ce que le guérisseur vienne vous examiner. De toute façon, le bouillon va vous faire encore dormir. »

J’arquai les sourcils, déçu. J’aurais préféré quitter l’Académie et dormir à l’auberge…

Sous les yeux vigilants des infirmiers, Bluz termina le bouillon, le visage rouge et la bouche en feu, et il rendit le bol en balbutiant des paroles inintelligibles. Une profonde torpeur envahit tout mon corps. Attah… J’avais pensé ignorer les consignes du guérisseur, mais… ce breuvage m’en fit passer l’envie.

Les infirmiers s’étaient éloignés pour ranger ce que j’avais désordonné avec mon orique. Je grommelai tout bas :

— « Je me sentais mieux sans le bouillon. »

— « Moi aussi, » gémit Bluz. « Ce n’est pas du tout revigorant… »

— « Tu l’as dit, » approuva Kala.

Il y eut un silence. Bluz toussota.

— « Mahi. Je peux te poser une question ? »

— « Appelle-moi Drey. »

Bluz hésita.

— « Tu en es sûr, mahi ? Tu es un Arunaeh et, moi, je ne suis que… »

— « Un compagnon de travail, » le coupai-je. « Pour être franc avec toi, les Arunaeh se moquent des titres. Nous ne sommes pas le nom qu’on nous donne mais ce que nous faisons, de même que l’équilibre est ce qu’il est et non pas ce qu’on en dit. » Je clignai des yeux puis fixai le plafond blanc. Qu’étais-je en train de raconter au novice ? Je bâillai. « Bah… Appelle-moi comme tu voudras. Que voulais-tu me demander ? »

Bluz demeura silencieux un instant. Trop longtemps. S’il se décida à poser sa question, moi, j’étais déjà loin, dormant comme l’eau d’un lac.

Je ne rêvai même pas. Quand je me réveillai, je me sentais complètement remis. Un saïjit vêtu de la blouse bleue et blanche de guérisseur officiel de la Guilde avait une main posée sur ma poitrine. Je sentis une caresse énergétique. Était-il en train d’examiner mon jaïpu ? Je croisai ses yeux, le faisant tressaillir légèrement.

— « Obscurité miséricordieuse, » murmura-t-il.

Je m’inquiétai sérieusement et me redressai.

— « Y-a-t-il un problème ? Mon jaïpu a-t-il un problème ? »

Un sourire moqueur se dessina sur les lèvres du guérisseur. Il écarta sa main.

— « Tu es en pleine forme. La jeunesse est miraculeuse. Ton compagnon aussi est remis. »

Je me réjouis. Bluz était en train de déjeuner avec appétit. Des tugrins ! La bouche pleine, il m’adressa un sourire en disant :

— « Bon appétit ! »

Sans plus attendre, je pris mon propre plateau. Il était quatorze heures, le milieu de la matinée pour Dagovil. Je ne me rappelais pas avoir jamais dormi si longtemps ni si bien. Bluz non plus, apparemment : il avait même les raies de l’oreiller gravées sur une joue. Le déjeuner me parut délicieux. Je reposai le bol de jus de zorf vide, je saisis mon gilet et l’enfilai ainsi que ma tunique de moine. Le guérisseur s’était éloigné vers une autre pièce avec les deux infirmiers, et j’en déduisis que nous étions donc libres. Je tâtonnai ma poche pour m’assurer que j’avais toujours mon diamant de Kron et ma pierre de lune et je jetai un coup d’œil par les baies vitrées sur la cour de l’Académie. Il y avait plus de monde que la veille et plusieurs fiacres garés. Atténuée par les vitres, on percevait la musique lointaine de la Foire. Je me demandais où Sharozza avait pu aller. Sûrement chez sa famille. J’acquiesçai pour moi-même.

— « Sortons, Bluz. »

Cependant, dès que je me retournai, je remarquai la silhouette qui était entrée dans l’infirmerie. Je reconnus immédiatement le drow à la tunique sombre et à la ceinture blanche. C’était le guide de la veille, Tojira. Ce jour-ci, il portait son bonnet bien en place, manifestant son appartenance à la Maison des Rotaeda. Il s’inclina devant nous.

— « Excusez mon intrusion, mais la porte était ouverte et il semble que vous étiez sur le point de sortir. Je souhaitais vous informer des nouvelles. »

— « C’est aimable à toi, » dis-je. « Où est Sharozza ? »

Tojira se redressa, tout en répondant courtoisement :

— « Sharozza de Veyli a rejoint sa maison familiale. Nous lui avons envoyé un message pour l’informer que vous alliez bien tous les deux. Treyl Rotaeda vous communique que vous avez accompli votre travail et que le Temple du Vent recevra la récompense promise sous peu. »

C’étaient de bonnes nouvelles, me réjouis-je. Le secrétaire ajouta :

— « Bluz Ansihra. La fille-héritière de la famille, Erla Rotaeda, a un service à te demander. Elle veut choisir une nouvelle monture parmi les anobes que sa famille vient d’acheter. Les Ansihra sont connus pour leur compétence en la matière. Elle est dans la cour. Tu la vois ? Là-bas, » indiqua-t-il par la fenêtre tandis que Bluz regardait, bouche bée, « Erla est celle à la robe bleue. Tu lui rendrais un grand service si tu pouvais la conseiller… »

— « Sur mon honneur, je l’aiderai autant que je peux ! » accepta Bluz, empourpré. « J’y vais tout de suite ! Tu viens, Drey ? »

Je souris de biais en voyant qu’il avait finalement choisi de m’appeler par mon prénom. Je devinai que ce qui l’enthousiasmait, ce n’était pas tant de voir les montures mais plutôt de voir cette Erla Rotaeda. Il semblait la connaître sans toutefois la connaître personnellement. Était-elle si célèbre ?

— « Désolé, mais non. Je vais rentrer directement à l’auberge, » dis-je.

Il n’était pas question que je reste à parler avec des courtisans de la Guilde… Bluz ravala sa salive. Brusquement, il avait perdu toute son assurance. Je roulai les yeux, exaspéré.

— « Allez, vas-y, qu’est-ce que tu attends ? »

Il s’en alla presque en courant. Il ne manquait plus qu’il trébuche sur une marche des escaliers et retourne directement à l’infirmerie… Quand je cessai d’entendre ses pas, je me tournai vers Tojira. Quelque chose dans son expression m’arracha soudain une moue soupçonneuse : se pouvait-il qu’il ait raconté cette histoire d’anobe à choisir afin d’éloigner Bluz ? Si tel était le cas… Mon Datsu se débrida légèrement. Je toussotai et fis quelques pas vers la sortie en lançant :

— « Bon, je me réjouis que tout se soit si bien terminé, je m’en vais… »

— « Drey Arunaeh. »

Je fronçai les sourcils et me retournai à contrecœur. Quand le secrétaire leva ses yeux rouges vers moi, ils semblaient presque éteints.

— « Mon maître veut te parler. »