Accueil. Les Pixies du Chaos, Tome 5: Le Cœur d'Irsa

6 Le Makshun

« Mon imagination est comme la lave noire : sa noirceur m’afflige. »

Melzar

* * *

Dans les Cités de l’Eau, les anniversaires avaient peu de sens et se fêtaient rarement. Les seize ans, cependant, représentaient à Dagovil l’âge où les saïjits devenaient « responsables » : ils pouvaient signer des contrats, être propriétaires, contracter des dettes, et, dans le cas des enfants des grandes familles, devenir des membres à part entière de la Guilde des Ombres.

C’était, donc, un grand jour pour Erla Rotaeda.

Et Kala était décidé à lui gâcher toute la fête.

Tandis que nous nous frayions lentement un chemin sur l’énorme place bondée du palais de la Guilde, ma sœur agrippait mon bras et son aura apaisante me parvenait de plein fouet. Mais cela ne suffisait pas.

Mon orique, autour de moi, travaillait sans relâche, percevant de constantes respirations, le souffle des rires, le frôlement des habits colorés… L’air ondulait, se coupait, montait et se contorsionnait au milieu de tant de saïjits.

Finalement, je parvins à un endroit moins transité, près d’un terre-plein d’herbe bleue, et je m’assis avec un certain agacement.

— « Ils agitent l’air plus qu’une troupe de harpies. »

La place de la Guilde de Dagovil, entourée de murailles, était une grande esplanade couverte de jardins, de fontaines et de mosaïques. Sauf qu’en ce moment, on les voyait à peine. Mar-haï, on aurait dit que les Rotaeda ne s’étaient pas contentés d’inviter la fine fleur de Dagovil : ils avaient fait venir, semblait-il, tous les étudiants de l’Académie pour féliciter l’héroïne. Et je vis aussi quelques blasons de Lédek, de Kozéra et de Témédia. Cette cérémonie d’initiation s’était transformée en un véritable évènement. Je soupirai. Trylan Rotaeda avait probablement voulu me présenter sa petite-fille quelques jours plus tôt, de manière plus tranquille. Mais, comme j’avais été prostré au lit…

— « Frère, » dit Yanika, assise à côté de moi. « Je n’avais jamais vu autant de gens réunis. »

Ses yeux noirs brillaient. Je souris.

— « À la Foire, tu as dit qu’il y avait beaucoup de monde, » lui fis-je remarquer.

— « Mm… C’est vrai. Mais, ici, c’est différent. Certains… » Elle chercha ses mots. « C’est comme s’ils ne se rendaient pas compte qu’il y a aussi un monde à l’extérieur des murailles du palais. C’est comme… une pièce de théâtre. »

J’acquiesçai, pensif.

— « Une fois, j’ai entendu l’oncle Varivak dire que plus on a d’intérêts superficiels, comme l’ascension sociale et ce genre de choses, plus on a besoin de fréquenter les gens et de feindre, de sorte que certains en arrivent à transformer leurs vies en pièces de théâtre et qu’ils en oublient comment sortir de scène. »

Yanika me regarda avec curiosité.

— « L’oncle a dit ça ? » Elle sourit. « Tu sais, frère ? Azuri et lui me plaisent bien. »

Suivant son regard, je vis au loin notre oncle Varivak lever les yeux vers le plafond distant de la caverne tandis que des gens en costume discutaient en cercle. Il avait l’air de follement s’amuser, cet après-midi, me moquai-je. Je sentis la rancœur de Kala renaître et marmonnai mentalement :

“Kala, ne te mets pas dans cet état. Varivak et Azuri n’ont fait que leur travail. Ce sont des inquisiteurs. Pense qu’ils ont fait un effort pour protéger Rao et Jiyari : ils ont dit aux Zombras que tous deux avaient parlé aux Yeux Blancs sans savoir qui ils étaient, est-ce que cela te paraît peu ?”

“Pourquoi Rao est-elle allée voir les dokohis sans m’avertir ?” me coupa Kala, de mauvaise humeur.

Je soupirai. À ce qu’avait raconté Varivak, malgré l’opération des Zombras, les dokohis de Kan avaient réussi à s’enfuir de L’Écuyère. Sauf un : le grand caïte qui nous avait parlé la veille avait feint d’attaquer Rao et Jiyari pour les protéger, il avait reçu des coups de pied et s’était retrouvé amoché et les mains liées. Varivak l’avait interrogé et avait écouté le faux témoignage de Rao et de Jiyari avant de parler secrètement avec ceux-ci… À la façon dont il m’avait présenté la conversation, mon oncle avait l’air de s’être montré plus intéressé par les connaissances bréjiques de Rao que par les dokohis ou les Pixies, ou même Lotus. Quant au caïte, il s’appelait Ruhi et, durant sa vie antérieure, ç’avait été un guerrier Kartan engagé durant la guerre par la Guilde pour lutter contre les rebelles. Après être tombé entre les mains de ces derniers et avoir reçu le collier de dokohi, les souvenirs devenaient plus difficilement accessibles, selon Varivak. Ce qui était clair, c’était que les dokohis de Kan souhaitaient réellement sauver les Pixies. Et j’éprouvais un certain malaise en imaginant Ruhi enfermé dans un sombre cachot à Makabath.

“Je me demande comment il est, Lotus, maintenant,” lâcha Yanika par bréjique, songeuse. “Crois-tu que son Datsu a complètement disparu quand il s’est réincarné ?”

J’arquai un sourcil. Je n’avais pas pensé à cela.

“Tu crois qu’il peut l’avoir gardé ?”

Yanika secoua la tête.

“Eh bien… Le Datsu fait partie de l’esprit. Si l’on transvase entièrement l’esprit, on transvase aussi le Datsu, non ? Mais…” Absorbée dans ses pensées, elle fronça les sourcils tout en enlaçant ses genoux. “Comme le sien était endommagé, Lotus a dû vouloir le séparer et s’en défaire. Je suppose. Alors, dans ce cas… est-il toujours un Arunaeh ? Ou le fait qu’il n’ait pas de Datsu l’exclut-il de la famille ?”

Kala et moi, nous la dévisageâmes un instant. Yanika avait tourné la question dans sa tête, visiblement.

— « Eh bien… » fis-je, sans savoir quoi lui dire.

Un soudain mouvement dans l’air détourna mon attention. Je vis un jeune homme en costume blanc courir, une couronne de fleurs à la main, tandis qu’une jeune fille vêtue tout de rose le poursuivait en protestant :

— « Rends-la-moi ! Espèce de voleur ! Ce n’est pas drôle ! »

Le garçon rit avec goguenardise sans s’arrêter.

— « Allons ! Pourquoi veux-tu un truc aussi trivial ? Ne me dis pas que tu as aimé le cadeau de ce berger d’anobes ? »

— « Ce n’est pas un berger d’anobes ! C’est un destructeur ! »

— « Un destructeur ? » se moqua-t-il, s’arrêtant et levant le bras pour situer la couronne hors de sa portée. « Il a une tête de gamin. »

— « Le gamin ici, c’est toi, Psydel ! Rends-moi la… ! »

La fille marcha sur le bas de sa longue robe et perdit l’équilibre, lâchant un hoquet de surprise. Sans y penser, je lançai un sortilège pour amortir sa chute, et je l’amortis, mais ma rafale souleva aussi la robe, découvrant jupons et mollets. Après quelques secondes de paralysie durant lesquelles plus d’un œil regarda effrontément la scène, la jeune fille cria et le jeune homme s’esclaffa de bon cœur.

— « Arrête de montrer comme tu es maladroite, sœur. »

— « Maudit, » grogna-t-elle, se redressant, rouge comme un zorf.

L’aura de Yanika s’était emplie d’un amusement gêné. Je me raclai la gorge et me levai, m’inclinant.

— « Toutes mes excuses. »

Tous deux se tournèrent vers moi, surpris. Et ils froncèrent les sourcils.

— « Des excuses pour quoi ? Pour m’avoir regardée ? Pervers ! » m’accusa la jeune fille. J’arquai un sourcil. N’avait-elle donc pas remarqué ma rafale d’orique ?

— « Allons, il s’excuse, » la tranquillisa le dénommé Psydel. « Celle qui a tout affiché, c’est toi. »

— « Moi ? » Les yeux de la jeune fille étincelèrent. « Moi ? Quelqu’un a lancé une rafale orique ! Et toi, frère, tu as appris un peu l’orique. »

Psydel se mit à rire.

— « Et si c’était moi ? Et alors ? On n’a rien vu de spectaculaire, ne te scandalise pas. »

Fumant de colère, la jeune fille lui lança une menace inarticulée tout en tendant une main pour reprendre la couronne de fleurs. Psydel réagit en relevant le bras, si brusquement que la couronne lui échappa des mains et je la récupérai sur la tête. Et cette fois-ci, je le jure, je ne lançai aucun sortilège. En voyant les deux jeunes gens se précipiter vers moi, je reculai en soufflant. Mar-haï… À ce moment, venant de derrière, j’entendis une voix lancer avec stupéfaction :

— « Drey ? Que fais-tu avec la couronne de fleurs que j’ai donnée à… ? »

Je me retournai et vis Bluz ; le jeune destructeur aperçut alors mes poursuivants et resta sans voix. Je compris pourquoi quand je sentis le mouvement de l’air approcher et un poids s’agripper à mon dos. De nouveau, la jeune fille avait trébuché sur sa robe incommode et elle m’avait pris pour appui, s’agrippant à ma taille. Elle rattrapa son équilibre et, loin de me lâcher, elle se hissa sur la pointe des pieds et tendit une main vers la couronne de fleurs. Son frère tendit la sienne à son tour. Je calculai les distances. Ils allaient y parvenir en même temps. Je soupirai et lançai une légère rafale orique pour la rapprocher de la jeune fille. Celle-ci saisit enfin la couronne et la brandit avec un sourire vindicatif.

— « J’ai gagné ! Ces fleurs te plaisent tant que ça, frère ? Héhé ! Allez, je te les donnerai demain… »

— « Et tu y mettras des runes pour que je reçoive une décharge, c’est ça ? » rétorqua le frère. « Erla la Cruelle. Garde tes fleurs. »

La jeune fille eut une moue amusée. Yanika et moi, nous restâmes à la regarder avec stupéfaction. Erla ? Avait-il dit… Erla ?

Quelques jours plus tôt, je l’avais vue entrer en trombe sur un anobe dans l’Académie Celmiste, mais elle portait alors une robe bleue, ses tresses bleues étaient libres et non ramassées en chignon, et elle n’exhibait pas sur son visage un tatouage rouge comme ornement. Mais c’était Erla. Et Psydel devait être le frère, du même âge qu’elle, qui avait renoncé au titre de fils-héritier après avoir obtenu de moins bonnes notes à l’Académie…

Kala était resté paralysé, incapable de réagir. Attah. Je pensai à ce qui venait de se passer et… je me sentis soulagé en voyant que le frère et la sœur s’en allaient déjà d’un bon pas sans me dire un mot.

— « Nous allons arriver en retard, allez ! » disait Erla.

— « Tu es si pressée de devenir adulte, sœur ? » lui répliquait Psydel.

Ils se fondirent dans la foule et je les perdis de vue. L’aura de Yanika vibrait de curiosité et d’amusement. Elle devait penser : c’est lui, le Grand Mage Noir dont parlent les légendes ? Quelques instants après, Bluz nous rejoignit, encore pâle.

— « T-tu… » bégaya-t-il. « Tu ne m’avais pas dit que tu connaissais Erla ! »

Je soufflai de biais.

— « Je ne la connais pas. Elle a trébuché et elle m’a pris pour une colonne, c’est tout. » J’enfonçai mes mains dans mes poches et jetai un coup d’œil au Moine du Vent. « Je ne savais pas que tu étais encore à Dagovil. »

Bluz s’empourpra.

— « Eh bien… Ce jour-là, quand je suis allé aider Erla à choisir un anobe… elle m’a invité à cette cérémonie et… j’ai accepté. C’est la première fois que j’entre au Palais d’Ambre, » se justifia-t-il.

J’esquissai un sourire et promenai un regard circulaire sur la place depuis le terre-plein d’herbe.

— « On ferait mieux d’y aller. La cérémonie va commencer. Tu viens, Buz ? Je veux dire Bluz. »

— « Pourquoi t’acharnes-tu à déformer mon nom ? ! » protesta Bluz tout en nous suivant.

— « Désolé, cette fois-ci je ne l’ai pas fait exprès. »

Bluz demeura un instant troublé face à mon expression sincère. Alors, percevant peut-être un brin de moquerie, il grommela :

— « Tu te moques de moi… »

— « Non, je t’assure ! » Je levai une main en guise d’excuse. « Dis donc. Maintenant que j’y pense, tu as eu seize ans cette année, n’est-ce pas ? Tu as passé ta cérémonie d’initiation ? »

— « Oui, au Temple. Pas toi ? »

— « Je l’ai ratée. À cette époque, Yani et moi, nous n’étions pas en Dagovil, n’est-ce pas, Yani ? »

— « Mm… » Yanika se mordilla une lèvre, pensive. « Je comprends maintenant. C’est pour cela que tu n’es jamais devenu adulte, frère. »

— « Ça, c’est cruel, Yani ! » soufflai-je.

Bluz et Yanika pouffèrent alors que nous nous fondions déjà parmi les invités.

Nous entrâmes dans la grande salle du palais. C’est là que se réalisaient toutes les grandes cérémonies de la Guilde, et l’initiation d’un héritier au monde adulte était l’une d’elles.

Nous rejoignîmes mon oncle Varivak et Azuri et, les quatre Arunaeh, nous prîmes un banc réservé tandis que Bluz restait avec les étudiants. De loin, j’aperçus Sharozza avec sa famille de Veyli et je répondis à son salut expressif en levant fugacement la main. La cérémonie n’avait pas encore commencé et Kala tambourinait déjà du pied. Il n’avait rien dit depuis notre rencontre avec Erla. S’était-il senti peiné de ne pas pouvoir parler davantage avec elle ? Ou déçu qu’elle ne l’ait pas reconnu ? Espérait-il qu’à peine l’aurait-elle vu, elle allait redevenir le Lotus d’avant ?

Eh bien, pour le moment, son si cher Lotus était d’un côté de l’estrade du fond, échangeant des salutations et des petits sourires dissimulés avec ses amies étudiantes.

Sans même s’altérer, mon oncle Varivak me lança par bréjique :

“As-tu réussi à lui parler ?”

Je me raclai la gorge.

“Pas vraiment.”

Il garda le silence un instant.

“Ne lui raconte pas d’histoires de Pixies, hein ? Si elle ne se rappelle rien… peut-être est-ce mieux ainsi.”

Je lui lançai un regard surpris, mais il m’ignora et coupa la connexion. Mieux ainsi ? Je remarquai la moue pensive de Yanika et devinai ce qu’elle pensait : de fait, si Erla Rotaeda était heureuse maintenant, à quoi bon la déranger ? Moi, je ne pouvais qu’être d’accord. Mais Kala…

Sur l’estrade, apparut un vieux prêtre wari portant une coupe vide et, s’aidant d’une magara harmonique amplificatrice de son, il tonna :

— « Les âmes naissent pures, ignorantes et vides, comme une coupe de porcelaine qui s’emplit peu à peu. D’abord, nous apprenons à regarder et à écouter. Puis nous apprenons la langue de nos parents. Nous apprenons à dépendre. Nous apprenons à apprendre. Et ainsi, petit à petit, la coupe s’emplit de nouveautés. Certaines gouttes blanches et pures comme les larmes de Latarag. D’autres gouttes rouges d’envie et de colère. D’autres gouttes noires de pensées profondes. Nous apprenons à connaître, à souffrir et à aimer. La coupe s’emplit et même lorsqu’elle est presque pleine, nous continuons à apprendre. Nous apprenons à vieillir, » dit le vieil homme. Il arracha des sourires d’empathie un peu partout. « Des sages ? Nous ne le sommes pas. Aucun de nous. Mais tenter de l’être est le devoir de chacun. La coupe devient de plus en plus sombre au fil des ans. Le noir prédomine. L’ombre prédomine. » Il haussa la voix. « L’ombre de notre vérité, l’ombre de notre vie, celle qui nous rend responsables, celle qui nous rappelle nos actes, celle qui nous accompagne toujours. Cette ombre, mes enfants, est celle qui aujourd’hui, jour quinze d’Amertume, va s’éveiller dans deux âmes ici présentes, deux âmes pures qui sont venues célébrer leur passage à l’âge adulte. »

Devant les yeux de tous, Psydel et Erla Rotaeda s’avancèrent majestueusement traînant une cape blanche derrière eux et ils s’agenouillèrent en face du prêtre. Celui-ci leur tendit à chacun une coupe et un jeune page les remplit avec une cruche, versant un liquide noir. Aux initiés au monde, on donnait une coupe de shawska. Du camoun noir. C’est-à-dire de l’alcool. Il va sans dire que les Arunaeh ne suivaient pas cette tradition.

Je vis le frère et la sœur se regarder. Ils attendirent d’avoir tous deux leurs coupes pleines avant de commencer à boire. À leurs gestes, on aurait dit qu’il s’agissait d’une course. Qui sait, ayant vu un peu avant comment ils se comportaient, je n’aurais pas été étonné que tous deux aient fait un pari à qui finirait le premier. À ce qu’il me sembla, ils terminèrent en même temps. Les assistants acclamèrent avec des murmures la fougue des jeunes Rotaeda. Kala continuait de tambouriner.

“Veux-tu rester tranquille, Kala ?” soupirai-je. “Tu m’énerves.”

“Moi aussi, je suis énervé,” répliqua le Pixie.

“Ah bon, je ne le savais pas,” ironisai-je. “Est-ce qu’on peut savoir pourquoi ?”

Un instant, notre pied resta en suspens… puis il recommença à frapper le sol.

“Lotus n’aimait pas être entouré de beaucoup de gens. Il nous l’a dit. Et il n’aimait pas l’alcool non plus. Mais… mais les simellas étaient ses fleurs favorites.”

J’arquai un sourcil. Les simellas ? Alors je compris. La couronne de fleurs que Bluz avait offerte à Erla était chargée de simellas. Je soupirai. Cela ne signifiait pas grand-chose. Beaucoup de gens aimaient les simellas pour leur couleur dorée et lumineuse.

La cérémonie continua. Treyl Rotaeda, le père des deux jeunes gens, retira la cape blanche de son fils et lui en mit une noire. Une drow, probablement la mère, se chargea d’en faire autant avec sa fille adoptive. Erla l’embrassa, souriante. Puis elle s’inclina vers tous les invités et prit la magara amplificatrice.

— « Vous tous ici présents ! Aujourd’hui est un jour très spécial pour moi et je suis émue que vous ayez pensé à moi. Merci à tous d’être venus ! À chacun de vos cadeaux, j’ai senti mes yeux s’emplir de larmes. Jusqu’à présent, je n’ai été qu’une enfant gâtée qui a eu la chance de naître belle et entourée d’une famille merveilleuse. À partir d’aujourd’hui, je travaillerai pour gagner cette ombre dont a parlé le vieux prêtre et je ferai tout mon possible pour être une personne responsable. Merci ! »

En parlant, elle s’agitait en faisant de grands gestes. Depuis le fond de la salle, plusieurs étudiants sifflèrent pour l’acclamer. Mais c’était quoi, tout ça ? Le spectacle d’une idole ?, soufflai-je, incrédule. Yanika contenait difficilement l’amusement qui s’écoulait dans son aura et je perçus plus d’un sourire autour de nous. Au-delà, cependant, je découvris des visages froncés. Plusieurs Veyli chuchotaient entre eux. Je vis Pargwal d’Isylavi faire une moue moqueuse. Les Norgalah-Odali, au premier rang, demeurèrent immobiles. Quand Erla laissa l’amplificateur à son frère, celui-ci lui souffla une remarque qui résonna dans toute la salle :

— « Il ne te manque que la musique dramatique de fond. »

Et se tournant vers les invités, il déclara sur un ton serein :

— « Bien, sachez tous que je ferai du mieux que je pourrai comme fils-héritier des Rotaeda. »

— « Ça, c’est moi ! » protesta Erla.

Le frère et la sœur se regardèrent avec des têtes de prédateurs. Le père leur ôta l’amplificateur, la mine tendue, et, avec un discours solennel et cérémonieux, il nous souhaita à tous un bon après-midi au Palais d’Ambre. Sa voix, sévère et austère, correspondait davantage à l’image de la Guilde. Peu après, nous passâmes chacun notre tour présenter nos félicitations aux deux initiés. Je soupirai dans la file. La fête s’allongeait à en devenir pesante… Cependant, l’aura de Yanika débordait de curiosité et, quand elle m’adressa un sourire joyeux, je lui souris moi aussi, étonné. Cette cérémonie l’enthousiasmait-elle tant ? Quand le tour des Arunaeh arriva, nous nous inclinâmes tous les quatre brièvement et notre oncle déclara solennellement :

— « Longue vie aux nahôs. Que le Lotus Noir veille sur vous et votre famille et vous apporte la santé. »

Je remarquai alors la corpulente silhouette encapuchonnée de Kibo, postée juste derrière le vieux Trylan Rotaeda. Je croisai son regard pénétrant, mais Kala détourna aussitôt le nôtre, qui revint se poser sur la présumée Lotus comme une roche-aimant. Au lieu de se paralyser, son cœur, le nôtre, s’était maintenant emballé, son esprit était en effervescence et les images d’un lointain passé me frappèrent d’un coup.

* * *

— « Père, Père ! » criait une voix joyeuse non loin. C’était Jiyari, qui s’approchait sur la colline verte avec un grand bouquet de fleurs de toutes les couleurs. « Je l’ai fait pour toi. »

Lotus se pencha pour accepter le cadeau de la fillette. On ne voyait pas son visage. Son masque, qui n’était plus d’un blanc immaculé comme celui du laboratoire, portait des tatouages bréjiques rouges et noirs. Il ne l’enlevait jamais. Mais Kala savait reconnaître quand il souriait. Et, en ce moment, Père souriait largement.

— « Il est beau, Jiyari. »

Les yeux de la fillette resplendirent. Elle récita avec fierté :

— « Donner et recevoir est un principe fondamental de la vie. »

Assis à l’ombre des arbres, les Pixies sourirent…

* * *

— « Eh ! Ça va… ? »

Kala cligna des paupières, les yeux mouillés de larmes. Dans sa robe rose, enveloppée dans sa cape noire, Erla nous regardait, de plus en plus impatiente. Distrait par ses souvenirs, je ne pus fermer la bouche de Kala avant que le Pixie ne tende une main vers la nahô en bredouillant :

— « Lotus… ? Tu es… ? »

Varivak posa une main sur notre épaule, l’interrompant :

— « Excusez mon neveu. Il a passé tant de temps à détruire la roche qu’il ne se rappelle plus comment se conduire en société. »

Et il ajouta par bréjique :

“Kala, calme-toi, tu pourras lui parler plus tard. Drey, ne peux-tu pas t’imposer un peu ?”

“C’est facile à dire,” lui répliquai-je, forçant à grand-peine une révérence devant Erla. Celle-ci s’empourpra. Ses yeux fixaient le dessus de ma tête. Nous écoutait-elle seulement ?

Quand je parvins enfin à voler le corps à Kala et à m’éloigner d’un pas saccadé, je sentis un objet léger glisser sur mes cheveux et je le récupérai avec une fine brise orique. C’était un pétale jaune. Un pétale de simella. Je compris qu’Erla venait de se rendre compte que j’étais la personne sur laquelle elle avait trébuché avant, sur la place du palais, en cherchant à récupérer sa couronne de fleurs.

Kala ne cessait d’essayer de regarder en arrière. Occupé à lutter contre ses impulsions, je ne sus où nous menait l’oncle Varivak que lorsque nous nous arrêtâmes dans un coin du fond de la grande salle, devant Trylan Rotaeda et Kibo.

— « On dirait, » dit le vieil homme d’une voix suave, « qu’exiger le silence n’a servi à rien. »

Il me regardait. Je voulus lui dire que c’était Kala qui avait parlé de Lotus Arunaeh à ma famille, mais le Pixie m’en empêcha en répliquant :

— « Je veux lui parler. Je veux… »

— « Je sais, » le coupa Trylan avec une subite rudesse, se tournant vers Varivak. « Les récentes nouvelles qui me sont parvenues me préoccupent. On dit qu’une de mes connaissances fréquenterait une bande suspectée de rébellion et aurait des relations avec les Yeux Blancs. »

Kala et moi, nous nous crispâmes. Ce vieux hawi nous avait-il épiés… ? L’aura de Yanika se couvrit d’étonnement. Ma cousine Azuri observait l’imposant Kibo avec intérêt. Varivak dit :

— « Pour l’amour de l’Ombre, même les amis te surprennent parfois. Cependant, comme dit Saverya, Quatrième Leader de mon clan : ne perds jamais un ami en te fiant aux mauvaises langues. »

J’arquai un sourcil. Depuis quand étais-je devenu un ami de Trylan ? Celui-ci accepta l’argument d’un geste de la tête.

— « Sans doute. Je le lui demanderai directement. »

Mon oncle lui adressa un fin sourire.

— « Je suis sûr qu’il te répondra avec la sincérité que l’on doit à un sage nahô. Et il te dira que… »

— « Que ce sont des affaires qui ne le concernent pas, » marmonnai-je, fatigué de tant de circonlocutions. « Qu’est-ce que tout cela a à voir avec ta petite-fille, nahô ? Et puis je n’ai rien d’un rebelle. »

— « Sauf les manières, » me tança Varivak. Il ajouta mentalement : “Tu veux bien me laisser parler ?”

— « Nous causerons plus tard, » déclara cependant le vieux Rotaeda.

Il s’était de nouveau tourné vers les nombreux invités qui félicitaient encore ses deux jeunes petits-enfants. Nos paroles semblaient l’avoir tranquillisé. Avait-il donc craint que Kala se soit allié avec les dokohis contre la Guilde ou un truc du genre ? À quel point nous avait-il épiés ? Je doutais que quelqu’un ait réussi à écouter la conversation avec les dokohis de Kan dans l’impasse, mais j’étais certain que Rao et Jiyari étaient à présent le point de mire de Trylan, autant que moi.

Des éclats de voix me tirèrent de mes pensées. Je me tournai vers l’estrade. Quelqu’un criait :

— « Un assassin ! »

L’alarme fusa dans l’aura de Yanika. Au milieu du tumulte, je parvins à peine à voir Psydel aux prises avec un saïjit qui portait la soutane et le masque blancs des prêtres de Latarag. Je le vis tomber. J’entendis des cris et, parmi eux, l’exclamation aigüe d’Erla :

— « Psydel ! »

Avant que je ne m’en rende compte, Kala se précipitait déjà. Pour s’ouvrir un chemin, il lança une rafale orique. Il le fit sans modération : il créa un violent tourbillon autour de nous. Il ne manquait plus que ça… J’arrêtai net son sortilège et luttai pour le défaire. Le vent siffla à nos oreilles en même temps que des voix résonnaient dans toute la salle, répétant : un assassin ! Des Rebelles ! Les gens couraient vers la sortie de la grande salle du palais…

“Attah, Kala,” lui lançai-je, exaspéré, quand je parvins à contrôler l’orique. “Ne perds pas ton sang-froid. Tu as encore failli dépenser stupidement presque toute notre tige énergétique…”

Il m’ignora. Quelques secondes plus tard, arrivant devant Erla et Psydel, notre cœur bondit de tension et mon Datsu se délia pour de bon : agenouillée sur les planches de bois, Erla tremblait, une expression d’horreur sur le visage. Son frère tentait de se redresser, pressant sa hanche. Il bredouilla :

— « Tu l’as… tué ? »

Il faisait sans nul doute allusion au corps du prêtre blanc gisant sur le sol. Erla ne répondit pas. L’inquiétude de Kala, cependant, se dilua un peu en voyant qu’elle était vivante. Les gardes arrivaient. Kibo me devança telle une brusque bourrasque. Sous sa capuche, ses yeux rouges flamboyaient. Il s’agenouilla auprès de l’assassin, planta un genou sur le ventre de celui-ci et lui retira le masque sans égards, l’agrippant par le cou de sa forte poigne.

Il révéla le visage d’un jeune bélarque. Il ne portait pas le disque blanc de Latarag sur le front. D’un coup, Kibo déchira la soutane, découvrant les épaules. Sur l’une d’elles, il y avait un petit losange noir tatoué. Je reconnus la marque. Tous, à Dagovil, nous la connaissions.

— « Un assassin de Makshun, » cracha Psydel. « Bon sang ! Ce n’est même pas un adulte. »

Il vacilla et je m’approchai pour le soutenir. Autour de nous, des invectives fusaient contre le sicaire, des commentaires et des questions. Les étudiants étaient les plus bruyants. Un guérisseur parmi les invités se hâta d’examiner Psydel. L’assassin l’avait poignardé au flanc.

— « La blessure n’est pas profonde, » grogna Psydel. Sa voix était étouffée par la douleur. « Je vais bien… »

Comme j’étais si proche, lui offrant mon appui, je pus voir qu’effectivement la blessure n’était pas grave… mais il y avait un liquide violacé qui ne me disait rien de bon. On racontait que les assassins de Makshun tuaient par le poison. Et un éclat inquiet dans les yeux de Psydel me fit comprendre qu’il le savait.

— « Pourquoi ? » s’écria soudain Erla au milieu de l’agitation. « Cet assassin voulait me tuer, moi. Pourquoi, Psydel ? »

Livide, celui-ci adressa à sa sœur un sourire stoïque.

— « Quelle sorte de fils-héritier je serais si je ne défendais pas ma petite sœur ? »

Il s’était donc interposé… Les yeux d’Erla brillaient.

— « Petite sœur ? » répéta-t-elle alors dans un filet de voix, lui agrippant la main. « Nous sommes nés le même jour, idiot. »

Le sourire de Psydel s’élargit.

— « Non. J’ai mené ma petite enquête, sœur. On m’a dit qu’on t’avait trouvée le mois d’Amertume dans un nid de harpies et que tu n’avais pas encore un an, mais que tu criais déjà comme l’une d’elles. »

— « Je vois que tu ne vas pas si mal si tu es capable de dire des bêtises, » grommela Erla.

— « Emmenez-le dans une chambre, » ordonna une voix sévère.

Je levai la tête vers le drow qui avait parlé. Le visage taillé à la hache et les yeux profonds et rouges, il portait une grosse tache sur le front. Varandil, compris-je. C’était Varandil Noa Norgalah-Odali, le plus grand leader de la Guilde. Ses yeux se posèrent sur l’assassin gisant sur le sol avant de se fixer sur Erla.

— « Les dieux te protègent, petite. Comment l’as-tu tué ? »

Tranquillisée peut-être de voir que son frère n’allait pas si mal, la jeune Rotaeda regarda les infirmiers emmener Psydel, elle se leva et répondit :

— « Je ne l’ai pas tué. Je ne savais pas… Je… » Elle déglutit et leva une main vers l’amulette dorée qu’elle portait autour du cou. « J’ai activé ma magara de protection. Je l’ai achetée il y a deux ans, mais je ne l’avais encore jamais utilisée. Je… je ne savais pas quel effet elle aurait. »

Varandil échangea un regard avec un jeune parent à lui, probablement son fils-héritier, qui acquiesça en disant d’une voix bien forte :

— « Il est assurément mort. »

Je dissimulai mal ma surprise : je percevais une respiration avec mon orique. Elle était ténue, mais l’assassin était toujours en vie, inconscient, sans aucune blessure. Je jetai un coup d’œil à l’amulette dorée. Quel genre de magara était-ce là ? Et pourquoi diables les Norgalah-Odali voulaient-ils faire croire que l’assassin était mort ? Kibo avait certainement vu qu’il ne l’était pas, mais il ne fit aucun commentaire. Et je préférai me taire moi aussi.

Le leader des Rotaeda, Treyl, venait d’échanger des paroles avec son fils avant qu’on ne l’emmène et il s’avança, le visage sombre. Dans la salle, les gardes demandaient courtoisement à tous ceux qui portaient des masques waris de les ôter et de quitter les lieux. Ne l’avaient-ils donc pas déjà fait à l’entrée ? Vu le nombre de gens qu’ils avaient dû laisser passer, je supposai qu’il n’était pas étrange qu’un intrus ait pu se faufiler…

Je voulus m’éloigner un peu, au moins pour rejoindre Yanika, Varivak et Azuri, mais Kala refusa catégoriquement : il voulait demeurer auprès d’Erla. La curiosité m’empêcha de protester.

— « Ceci est un lamentable incident, » commenta Varandil, les sourcils froncés. « Si un des Veyli n’avait pas vu le poignard et n’avait pas crié, l’assassin aurait probablement accompli sa mission. » Ses yeux pénétrants se reposèrent fugacement sur Erla. « Une idée de qui a pu engager ce saïjit ? »

— « Aucune, » admit Treyl. « Si tu veux bien m’excuser, je vais essayer de calmer les invités. »

— « Je m’occupe de l’assassin, » proposa Varandil. « Tout compte fait, ce palais appartient à la Guilde et c’est aussi ma responsabilité de ne pas avoir été suffisamment prudent. »

— « S’il te plaît, ne culpabilise pas, » répliqua Treyl. « Heureusement, rien de grave n’est arrivé. »

— « Si seulement cela pouvait être vrai, » toussota Varandil. Il indiqua l’arme du Makshun. « Ce poignard est empoisonné. Je vais ordonner qu’on l’examine et qu’on cherche l’antidote. »

Le visage sombre de Treyl avait un peu pâli, mais ce fut toute sa réaction en apprenant que son fils n’était peut-être pas hors de danger comme il le semblait.

— « Ce ne sera pas nécessaire, merci, » répliqua-t-il. « Les guérisseurs de mon Académie sauront quoi faire. »

Et sur ce, le leader des Rotaeda s’éloigna. Je vis Varandil ordonner à son garde d’emporter le “mort”. Psydel avait raison : le bélarque n’était même pas un adulte. Il devait avoir l’âge de Melzar. Dans les quinze ou seize ans. Qui pouvait bien avoir l’idée d’envoyer un novice pour tenter de tuer Erla Rotaeda en plein palais ? Et bon, pourquoi diables vouloir la tuer, elle ? Que l’on veuille tuer Treyl ou Varandil, je pouvais le comprendre, c’étaient de grands leaders, mais Erla ?

Zyro…

Mon Datsu se libéra de nouveau. D’après les dokohis de Kan, Zyro cherchait Lotus, non pour le sauver mais pour le tuer. Mais comment alors avait-il découvert son identité ? Tandis que la foule se dispersait, je me tournai vers Erla… pour constater qu’elle n’était plus à côté de moi. Kala fut pris de panique.

— « Drey ! Je ne la vois pas ! »

Il parla à voix haute, le très malin. Il fit un tour sur lui-même, angoissé. Je soufflai et le réprimandai mentalement :

“Calme-toi, tu veux bien ? Elle ne doit pas être allée bien loin.”

À ce moment, quelqu’un me prit par la manche et je me tournai pour voir Yanika s’arrêter près de moi et indiquer une porte au fond de la grande salle. Elle était en train de se refermer.

— « Tu cherches Erla, n’est-ce pas ? Elle est partie par là, frère. »

Kala allait se précipiter. Je le retins.

“Une seconde.”

J’observai ma sœur. Son aura était troublée. Il y a quelques mois, une scène comme celle-ci l’aurait emplie d’horreur et elle aurait provoqué une débandade générale. Mais à présent elle se contrôlait. Je ne savais pas si le changement me plaisait. Malgré tout, je lui souris.

— « Merci, Yani. Dis-moi, » ajoutai-je tout en nous mettant en mouvement, « où sont passés Varivak et Azuri ? »

— « Ils sont partis… avec Varandil et l’assassin, » répondit Yanika.

J’ouvris grand les yeux et compris son regard éloquent. Varandil voulait donc réveiller l’assassin et l’interroger. Cela confirmait que les Norgalah-Odali n’avaient rien à voir avec la tentative d’assassinat.

“Tu crois que c’est Zyro ?” me demanda Yanika par bréjique.

Je fis une moue.

“Si c’est lui, alors il a surmonté un peu sa haine des saïjits en engageant un Makshun. C’est peut-être lui ou peut-être pas,” dis-je tandis que Kala accélérait le pas. “Le Makshun nous éclaircira peut-être les choses.”

Mes efforts pour trouver Erla furent vains. Nous parcourions un couloir du Palais d’Ambre quand nous tombâmes sur des gardes qui nous barrèrent le passage.

— « Vous ne pouvez pas passer par là, mahis, » nous informa l’un d’eux.

Kala les foudroya du regard. Ce jour-là, son état d’âme était particulièrement agité. D’abord, il s’était stressé en apprenant que Rao et Jiyari avaient été interrogés par Varivak cet o-rianshu et que ceux de la Guilde les épiaient peut-être en ce moment même. Ensuite, il s’était enthousiasmé en voyant Erla, puis il avait été déçu qu’elle ne se souvienne pas de lui. Et par-dessus le marché, il avait assisté à une tentative d’assassinat contre Erla, il avait eu une peur bleue et voilà que maintenant il la perdait. Non, il n’allait certainement pas la laisser s’en aller comme ça. Il en était bien sûr. Si sûr qu’il agissait sans réfléchir.

Il se rua.